La Suisse n'interdira pas (encore) l'élevage intensif

Les urnes parlent, le débat continue

Après un départ en fanfare, l'initiative pour l'interdiction de l'élevage intensif en Suisse est retombée assez lourdement dans les urnes, avec seulement un peu plus d'un tiers des suffrages (37,1 %), et un seul canton favorable, celui de Bâle Ville, malgré un soutien relativement fort dans les villes (66 % de "oui" à Berne, 60 % à Zurich, 53 % à Lausanne et Genève). Les petites communes rurales ayant massivement rejeté l'initiative (avec un record neuchâtelois de 97 % de "non" aux Verrières) et les périphéries rurbaines l'ayant clairement rejetées, le résultat semble sans appel, comme le fut celui des deux initiatives populaires pour l'interdiction des pesticides, il y a quelques mois. Mais le résultat des urnes n'est pas forcément celui du débat : l'initiative a sans doute été rejetée parce qu'elle semblait "excessive", et parce que  les lobbies et le secteur économique concernés ont agité la menace d'une apocalypse agricole si elle devait être acceptée, mais les préoccupations qu'elle exprimait, celles de la dignité des animaux d'élevage, de la surconsommation de viande, de la surproduction de viande industrielle, et des désavantages volontairement imposés à l'offre de viande bio, se sont inscrites dans l'opinion publique. Et avec elles, des attentes sans doute moins claires que les réponses que l'initiative leur donnait, mais non moins prégnantes. Autant dire que le débat n'est pas clos : d'autres rendez-vous référendaires (notamment celui de 2024 avec l'initiative sur la biodiversité et son contre-projet) permettront de le raviver.

Le paradis des poules, des veaux et des cochons d'élevage a voté...

La Constitution fédérale impose à la Confédération d'encourager les "formes d'exploitation particulièrement en accord avec la nature et respectueuses de l'environnement et des animaux", la loi fédérale sur l'agriculture de "soutenir l'utilisation durable des ressources naturelles et (de) promouvoir une production respectueuse des animaux et du climat" et l'ordonnance fédérale sur la protection des animaux de faire en sorte qu'ils soient "détenus et traités de manière à ce que leurs fonctions corporelles et leur comportement ne soient pas gênés". Fort bien. Mais est-ce qu'entasser 27'000 poules de chair dans une halle avec l'équivalent d'une feuille A4 d'espace pour chacune, gazer les poussins mâles dès leur naissance, attribuer moins d'un mètre carré d'espace à un cochon de 100 kilos et en entasser dix sur un espace équivalant à une place de parking, modifier génétiquement les vaches pour augmenter leur production de lait de 40 % en trente ans, toutes pratiques parfaitement légales, est respectueux du prédicat constitutionnel, c'est-à-dire respectueux "de l'environnement et des animaux" ? La loi, ici, n'applique pas ce que la Constitution demande, mais ce dont les éleveurs et producteurs réclament un respect à géométrie variable.  "Tant qu'un poulet d'élevage devra passer sa vie sur la surface d'une feuille A4 et que dix cochons devront se partager la surface d'une place de parking, la loi suisse sur la protection des animaux sera insuffisante", résume le directeur de l'association Sentience. Et l'auteure de l'initiative, la Conseillère nationale verte zurichoise Meret Schneider insiste, après le vote de dimanche: "notre but reste de parvenir à un changement dans la consommation et à davantage de durabilité dans la production agricole". Vaste programme : en réalité, c'est toute la filière de la viande qui est à réformer, jusqu'à la détermination du prix à la vente au détail. La viande bio est trop chère ? Oui, parce qu'entre sa production et sa proposition au consommateur, producteurs, transformateurs et distributeurs en chargent le prix. Au départ, ce n'est pas la production de viande bio qui coûte trop, c'est celle de viande industrielle qui est bradée, et fait l'objet d'une publicité massive... et subventionnée par la Confédération. En 2021, 80 millions d'animaux avaient été engraissés et abattus en Suisse pour leur viande, on avait consommé en Suisse 14,7 kilos de volaille par habitant, nourrissons et grabataires compris, et la population des poules et poulets dans ce pays y dépasse celle des humains et des humaines -sans même garantir l'auto-approvisionnement des ventres des un.e.s par la chair et les oeufs des autres.

La Suisse a la législation la plus sévère d'Europe, si ce n'est du monde, sur la protection des animaux, n'ont cessé d'affirmer les opposants à l'initiative. Outre que cela a de quoi inquiéter sur le niveau des législations ailleurs que dans notre paradis des poules, des veaux et des cochons d'élevage, cela ne dit pas grand chose de plus sur la manière dont cette législation idéale est appliquée.  Ne disait-on pas naguère que la Constitution soviétique était la plus démocratique du monde ?

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