Initiative de l'UDC pour la défense de la "neutralité" suisse : Du bon usage d'un mythe mité

L'Union Démocratique du Centre a lancé le 8 novembre son initiative sur la neutralité : elle a jusqu'au 24 mai pour récolter 100'000 signatures valables, ce qui ne devrait pas lui poser trop de problème, d'autant qu'elle devrait bénéficier du soutien de "Pro Suisse", surgeon de l'Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), qui a fusionné avec deux associations europhobes. Le texte veut poser des limites à ce que le Conseil fédéral et le parlement peuvent faire au plan international. Il enfonce quelques portes ouvertes (toute adhésion à une alliance militaire doit être exclue ? elle l'est quasiment depuis 1815...), et veut en enfoncer qui sont encore fermées : l'initiative excluerait toute participation de la Suisse à des sanctions contre un belligérant, sauf si elles sont décidées par l'ONU, où de telles sanctions ne pourront jamais être prises contre un des cinq Etats membre permanent du Conseil de Sécurité puisque chacun d'entre eux disposent d'un droit de veto. L'initiative udéciste tient de la célébration d'un mythe : celui de la neutralité absolue et permanente de la Suisse. Un mythe mité par la réalité des choix politiques suisses, mais peu importe : l'avantage d'un mythe, sa commodité, tient à son appropriation par un peuple, sans distance critique . Celui de la neutralité suisse, où en est-il de cette appropriation ? La seule utilité de l'initiative udéciste pourrait bien être de répondre à cette question. Une initiative comme un sondage, en somme.

L'important, ce n'est pas la neutralité, l'important, ce sont les affaires.

Il faut bien inscrire l'initiative de l'UDC sur la neutralité dans le contexte de la guerre d'Ukraine -elle a certes des motivations préelectorales, à quelques mois du renouvellement du parlement fédéral, mais le choix de son thème, en ce moment, serait incompréhensible si on ne tenait pas compte des aventures poutiniennes. Et de l'extrême difficulté à tenir une ligne claire pour conjuguer le principe de neutralité, quelque définition qu'on en donne, avec les intérêts qu'on veut défendre, qu'il s'agisse de ceux de la Suisse ou de tel ou tel secteur de l'économie.  L'UDC honore le totem de la neutralité ? d'autres invoquent celui de la "démocratie" et de la légitimité de la défendre dans une guerre étrangère en soutenant ceux qui sont supposés l'incarner : le syndicat des fabricants suisses d'armes veut que la Suisse autorise la vente d'armes à l'Ukraine, au nom de la "crédibilité" de la Suisse -le Conseil fédéral ayant maintenu le statu quo, c'est-à-dire l'interdiction de la réexportation d'armes (et de munitions) suisses vers l'Ukraine. Disons que la crédibilité de ce syndicat, "Swiss ASD") comme défenseur de la démocratie est plus sujette à caution que sa capacité à défendre ses propres intérêts face à la concurrence européenne. En 2021, la Suisse a exporté pour 742 millions de francs d'armes et de munitions et le commerce des armes a triplé en valeur en vingt ans. 

"On ne peut pas continuer à livrer (à l'Ukraine) des lance-missiles Stinger de la main gauche et acheter des hydrocarbures (russes) de la main droite" comme le font les Européens, tempête  le consultant Jean-François Lambert, cité par "Public Eye". Mais si, mais si, on peut. D'ailleurs, c'est ce qu'on fait, la Suisse le faisant à la suisse : on ne livre pas des missiles à l'Ukraine, ni des drones, ni des canons mais de l'aide humanitaire. Pour réduire les conséquences de la guerre sur les populations civiles, les combattants et les prisonniers. C'est une bonne action, il faut le faire et ça doit être ça, la "neutralité coopérative" vantée par le président de la Confédération, mais le parlement l'a récusée. Quelle neutralité devrait-on pratiquer, alors ? La neutralité flexible ? Elle tient de l'opportunisme : on resterait neutres dans le conflit entre Taïwan et la Chine parce que la Chine est puissante, mais on soutiendrait l'Ukraine et on serait prêts lui vendre des armes, parce que la Russie est affaiblie...  L'initiative de l'UDC ne se réfère en réalité à aucune neutralité praticable. Juste à un mythe, paravent pour des affaires : on n'a jamais vu l'UDC s'opposer aux exportations suisse de matériel de guerre, seulement aux sanctions contre un Etat client d'entreprises suisses.  L'important, ce n'est pas la neutralité, l'important, ce sont les affaires.

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