Victoire de Lula, défaite de Bolsonaro : Un soulagement suspendu...

 

Le seul mot qui nous vint à l'esprit en apprenant le résultat de l'élection présidentielle brésilienne fut une interjection : «Ouf! ». Mais ce soupir n'est pas serein : l'écart est faible (deux millions de voix sur plus de 120 millions de bulletins valables) entre le candidat élu et le candidat battu, entre l'ancien président Lula da Silva (50,9 % des suffrages) et le président sortant et sorti Jair Bolsonaro (49,1 %), entre les deux fronts qui les soutenaient, le front démocratique autour de Lula et le front militaro-évangélico-agroindustriel derrière Bolsonaro, et on ne peut exclure que la menace réitérée de Bolsonaro de ne pas reconnaître ce résultat, et la menace implicite de tenter un putsch façon Trump (l'attaque du Capitole) ne devienne une réalité. Notre soulagement est comme suspendu. Celui de la plupart des chefs d'Etat étrangers, en revanche, a été plus que perceptible : exubérant... Il est vrai qu'une élection présidentielle dans le plus vaste et le plus peuplé Etat d'Amérique latine est un enjeu mondial -d'autant que le Brésil, c'est la plus grande partie (60 %) du "poumon de la planète" : l'Amazonie et sa forêt, dont 40'000 km2 ont été détruits durant le mandat de Bolsonaro. Lula a promis de s'impliquer fortement dans la défense de la forêt amazonienne ? Il y a urgence, elle approche d'un point de "non retour" . Si elle l'atteint, aucun objectif international de réduction du réchauffement climatique ne pourra être respecté.

«Il n’y a pas deux Brésil, nous sommes un seul et unique pays, un seul peuple, une grande nation»

Malgré l'usage par son clan et ses partisans de tous les moyens (cadeaux sociaux à l'électorat modeste, barrages policiers empêchant les électeurs de gauche du Nordeste de se rendre aux locaux de vote, pressions d'employeurs sur leurs salariés pour qu'ils votent pour lui), et malgré une remontée assez spectaculaire dans les derniers jours de la campagne, le président d'extrême-droite du Brésil a donc été battu. De peu, sans doute,  mais pas de justesse : l'écart entre le vainqueur et le vaincu de la présidentielle est en pourcentage, du même ordre que celui entre Giscard d'Estaing et Mitterrand en 1974 et entre Mitterrand et Giscard d'Estaing en 1981. Il n'empêche : qu'un Bolsonaro, avec le bilan qui est celui de sa présidence, avec ses pratiques, ses attitudes, son langage politiques, son racisme, son homophobie, sa misogynie, et les violences commises par ses partisans,  puisse recueillir plus de 49 % des suffrages d'un pays comme le Brésil a de quoi laisser pantois. La victoire de Lula a été saluée par la journaliste de TV Globo Miriam Leitão comme une victoire de la démocratie, et sans doute l'est-elle. Et le président élu s'est posé en rassembleur, en réparateur d'un pays fracturé : «Il n’y a pas deux Brésil, nous sommes un seul et unique pays, un seul peuple, une grande nation». Une grande nation, certes. Et la plus grande d'Amérique latine, par la population, et la taille de son pays. Une grande nation aux côtés de nombreuses petites nations indigènes. Mais un seul peuple ? Peut-être, mais alors, profondément divisé.

Le Brésil aura, sauf accident politique dramatique, un nouveau président le 1er janvier prochain. Un nouveau président en la personne d'un ancien président. Mais il aura aussi un nouveau parlement, et un nouveau paysage politique : Lula ne dispose pas d'une majorité parlementaire, et n'a pas été élu par une majorité de gauche mais par un front démocratique allant de la droite ultralibérale à la gauche radicale. Pour tenir sa promesse de restaurer la dignité démocratique du Brésil, la paix civile, le lien social, il aura fort à faire, et peu de moyens de le faire et d'assurer "le retour du Brésil dans le monde" pour le rendre "meilleur".

Le soulagement qui a salué sa victoire a une source plus modeste que les ambitions exprimées par le vainqueur, et sans doute ce soulagement tient-il plus à la défaite de Bolsonaro qu'à la victoire de Lula. Mais Jair Bolsnaro acceptera-t-il sa défaite ? Au moment où nous écrivons, nul ne peut ni l'assurer, ni assurer qu'il la refusera, mais tous les observateurs le craignent -craignent une sorte de "coup du Capitole" à la Brésilienne, d'autant que Bolsonaro a plus de moyens d'en réaliser un que n'en avait Trump pour le sien. En tous cas, le président sorti a dit tout et son contraire pendant la campagne électorale, menaçant à plusieurs reprises, et à l'avance, avant même le premier tour, de ne pas reconnaître une éventuelle défaite, pour, de temps à autre, promettre de l'accepter et finir par seulement assurer de respecter la constitution, Depuis l'élection de Lula, premier président brésilien à être élu pour un troisième mandat (même non consécutif du deuxième),  Bolsonaro s'était muré dans le silence, sans reconnaître le résultat de l'élection. Si un putsch militaire est peu vraisemblable, une recrudescence de violence (elle a déjà marqué toute la campagne électorale) reste à craindre. Et il n'y a pas qu'au Brésil qu'on le craint : le Sénat américain a adopté, fin septembre, une résolution défendant une élection présidentielle brésilienne "libre, équitable, transparente et pacifique" (on se rappellera toutefois que les USA n'avaient pas mégoté sur leur soutien à la dictature militaire). On se souvient du mot d'un président américain (Théodore Roosevelt, sauf erreur) à propos du premier Somoza : "c'est un salaud, mais c'est notre salaud"...Que feront les Etats -Unis si Bolsonaro tentait une opération du même genre que celle tentée par Trump ? Gageons que leur engagement ne serait pas de la même importance que celui qu'ils assument aux côtés de l'Ukraine. Et que si Bolsonaro, pour qui Trump avait les yeux d'un grand frère pour son cadet, avait été réélu, les USA auraient sans trop de remords fait prévaloir leurs intérêts stratégiques et économiques sur l'antipathie des Démocrates pour le président brésilien sortant et sorti. Ils se résigneraient à Bolsonaro, non pour ce qu'il est, mais parce qu'il serait encore en place, et qu'il ne leur nuirait guère : après tout, il ne nuisait qu'au Brésil, à ses peuples indigènes, à la forêt amazonienne et à la planète.

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