Contre-réforme de la prévoyance professionnelle : ça sent le référendum...

 

En Suisse, une semaine après le navrant vote populaire, très majoritairement masculin (la grande majorité des femmes ont dit "non", comme d'ailleurs les personnes ne disposant que d'un bas salaires) relevant à 65 ans l'âge de la retraite des femmes, dans la manifestation lausannoise la colère s'exprimait contre Alain Berset :"de la part d'un ministre socialiste, c'est une honte de soutenir une mesure antisociale", résumait une militants de la Grève féministe. Et une autre promettait : nous ferons de notre rage une force pour la Grève féministe du 14 juin. La coprésidente du PS, Mattea Meyer, se veut plus positive, ou du moins en donner l'impression : "nous attendons de la droite qu'elle tienne ses promesses pour améliorer la situation des femmes qui ont 50 ans aujourd'hui, un supplément de rente est nécessaire". Les belles promesses ont fait ce que ceux qui les faisaient en attendaient : faire voter pour une réforme (ou une contre-réforme) pénalisant les femmes. Après quoi, les promesses, on pouvait les oublier. Et avant-hier, la droite du Conseil national (PLR en tête) a avalisé une réforme (ou une contre-réforme) de la prévoyance professionnelle (le "deuxième pilier" du système suisse de retraite) qui, elle aussi, pénalise les femmes -mais, avec elles, les travailleurs les plus précaires et les moins bien payés. Celles et ceux-là même qui sont déjà les perdants du système de la "prévoyance professionnelle", et qui le seraient plus encore si ce système était encore dégradé par les choix du parlement. La gauche et les syndicats ont d'ores et déjà, avant que le Conseil des Etats ne ratifie la décision du Conseil national, annoncé le lancement d'un référendum. C'est bien le moins que l'on puisse faire...

Un référendum pour ne pas reculer

Il va donc être demandé aux salariées et aux salariés de payer plus pour recevoir moins : la "réforme" du "deuxième pilier" votée lundi par le Conseil national aboutit à une augmentation des cotisations (pour un total de trois milliards)et à une baisse des rentes de 200 francs par mois en moyenne, qui ont déjà baissé de 230 francs par moins depuis 2015. Les mesures de compensation proposées par la gauche ont été refusées, la droite s'est lourdement assise sur le compromis passé entre les syndicats et le patronat, et que soutenait même le Conseil fédéral. Un référendum sera lancé par la gauche et les syndicats. Il sera sans doute plus facile à faire aboutir, et à aboutir à un vote populaire de refus de la "réforme" votée par la droite, que celui que nous avons perdu contre AVS-21. Plus facile, mais peut-être moins enthousiasmant. Parce que c'est un système contestable (celui de la "prévoyance professionnelle) qu'il va s'agir de défendre, non celui construit par les luttes populaires (l'AVS).

Contestable, ce système l'est parce qu'il s'agit d'une épargne forcée, restituée sous forme de rentes ou de capital, mais dont le montant est évidemment fonction des prélèvements accumulés -et donc, du revenu des cotisants. Ce système favorise les bénéficiaires de hauts salaires et les hommes, les détenteurs d'emplois stables et à temps plein. C'est un système d'accumulation de capital. Ce n'est pas le système dont nous voulons -mais voilà : c'est ce système qui constitue le 2ème pilier du système de retraite. Et ce sont les rentes produites par ce 2ème pilier qui permettent aux rentiers de disposer d'un revenu suffisant, puisque que, contrairement au mandat constitutionnel, les rentes du premier pilier sont presque toujours inférieures au minimum vital -les personnes sans ce 2ème pilier doivent avoir recours aux prestations complémentaires pour atteindre ce minimum. Donc, toute atteinte aux rentes produites par ce système est une atteinte aux conditions de vie de la plupart des rentiers.

Le premier pilier du système suisse de retraite, l'AVS, fondée sur le principe de la répartition, est solidaire : les cotisations sont proportionnelles aux salaires, les rentes sont plafonnées, de sorte que les hauts salaires financent les rentes des plus modestes. Les deux autres piliers, la prévoyance professionnelle (2e pilier) et l'épargne individuelle, sont fondés sur le principe de la capitalisation : les plus hauts salaires et les plus hauts revenus ne cotisent que pour eux-mêmes. Les plus bas salaires et les plus bas revenus cotisent peu au 2e Pilier, et ont donc des rentes très basses, et pas du tout au 3e pilier -ils n'ont donc pas d'épargne-vieillesse et doivent se contenter de l'AVS et des prestations complémentaires. Au surplus, les deuxième et troisième pilier sont beaucoup plus sensibles à la conjoncture. Et les taux de conversion pratiqués par les caisses, et qui déterminent les rentes, sont très inégaux selon qu'il s'agit de caisses publiques ou privées, et entre les caisses collectives auxquelles s'affilient les entreprises qui ne veulent ou ne peuvent assumer la responsabilité de leur propre caisse (le salarié, lui, ne peut pas choisir sa caisse de prévoyance comme il choisit sa caisse-maladie).

En 1969, le Parti du Travail avait lancé, et fait aboutir, une initiative "pour des retraites populaires", dont le but était de renforcer et d'étendre le "premier pilier" du système de retraites, l'AVS. L'initiative avait échoué en votation, faute d'un soutien de l'Union Syndicale et du Parti socialiste, qui lui avaient préféré l'introduction du "deuxième pilier", c'est-à-dire d'une capitalisation individuelle et obligatoire : la "prévoyance professionnelle -coupable erreur de jugement, que l'état même du "deuxième pilier" confirme : rendements boursiers aléatoires, baisses du "taux de conversion" de cette épargne forcée en rentes, augmentation des formes d'emploi précaires et à bas salaires, échappant à la cotisation au "deuxième pilier", augmentation des cotisations, baisses des rentes... Le moment est bien revenu, de repenser le système de retraites, et, peut-être après avoir fusionné les 1500 caisses de pension dans une caisse unique (ce qui permettrait d'économiser des centaines de millions de francs gaspillés en frais de gestion des actifs et d'administration des caisses) d'intégrer progressivement ce deuxième pilier et ses ressources captives au premier pilier, fondé, lui, sur la solidarité entre les générations, et entre les classes salariales. C'est la proposition commune, quoiqu'avec des modalités différentes, de la gauche de la gauche, de la Jeunesse Socialiste et des Jeunes Verts, répondant aux jeunes PLR et Verts libéraux qui proposent une augmentation der l'âge de la retraite. Reste enfin le projet d'un revenu de base inconditionnel et universel (donc sans condition d'âge).

Mais ce n'est pas (encore) de cela dont il va s'agir : c'est seulement de défendre, non un système imparfait, mais le droit des personnes sorties, par l'âge, du "monde du travail", à un revenu leur permettant de continuer à vivre dignement. Le vote auquel le référendum que la gauche va lancer contre les propositions de la droite ne sera qu'un vote de résistance. Un vote non pour progresser, mais  pour ne pas reculer. Ne pas reculer une fois de plus.

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