Un bon vieux dilemme de gauche : Les petits pas ou le grand bond ?

 

C'est à un bon vieux dilemme auquel la gauche est constamment confrontée qu'elle l'est, à Genève, à l'occasion des votations cantonale et municipale du 18 juin -et qu'elle l'est aussi en Suisse, à l'occasion de la votation fédérale du même jour : doit on accepter une proposition en retrait de nos souhaits, mais qui nous fait avancer d'un pas vers la réalisation de ces souhaits, ou la refuser parce que ce pas est insuffisant et que rien ne garantit qu'il puisse être suivi d'autres ? Doit-on accepter une augmentation de la valeur fiscale des immeubles "payée" d'une baisse de l'imposition de la fortune ? Un congé parental de 24 semaines que les employeurs ne seraient pas tenus d'accorder, alors que nous en demandons un, obligatoire, de 36 semaines ? un projet localisé de quartier aux Acacias, qui crée à la place d'une zone quasi-industrielle et bétonnée des logements sociaux dans un quartier piétonnisé avec la remise de deux rivières à ciel ouvert, mais avec encore trop de bureaux et de surfaces commerciales, des équipements publics insuffisants et sans parc ? Un impôt mondial sur les multinationales que nous exigeons depuis des lustres, mais dont le produit est trop mal réparti pour qu'on s'en contente ? Une loi indispensable sur le climat, mais dépourvue d'instruments capables d'assurer le passage à une économie décarbonée ? Les petits pas ou le grand bond ?

Un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras", ou tout ou rien ?

Nous avons accepté que l'on accorde le seul droit de vote municipal aux étrangers, alors que nous revendiquons pour eux le droit de vote et d'éligibilité cantonales et fédérales, avant quoi, nous avions défendu le suffrage universel masculin quand nous revendiquions déjà que les droits politiques fussent aussi accordés aux femmes. Nous avons voté en faveur de la "solution des délais" alors que nous défendions la dépénalisation totale de l'avortement. Nous avons soutenu l'adhésion de la Suisse à l'ONU en sachant que l'ONU n'est pas une internationale des peuples mais un cartel des Etats. Nous soutenions la première loi CO2 alors que nous la trouvions insuffisante, et nous soutenons la seconde alors qu'elle l'est encore plus...

Quand nous choisissons de dire "oui" à un projet dont nous savons les insuffisances, ou de lui dire "non" en sachant que rien de mieux n'est accessible au moment où nous devons choisir, nous ne faisons après tout qu'un choix d'opportunité, pas un choix fondamental. On est dans l'empirisme, pas dans l'éthique. On est, forcément, dans le relatif, pas dans l'absolu. On n'est pas moins socialiste en disant "non" au PLQ Acacias qu'en lui disant "oui", on ne l'est pas plus en disant "non" au congé parental version verte libérale qu'en lui disant "oui". On donne seulement la moins mauvaise réponse qu'on croit pouvoir donner, au moment où on la donne. Et on se prépare, le petit pas fait, à en faire un autre, puis un autre, puis tous ceux qu'il faut faire pour aller là où on veut aller...

Ainsi oscillons-nous constamment entre un précepte et une tentation, entre un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras" et "tout ou rien", sans jamais nous caler définitivement sur l'un ou l'autre, en nous éveillant avec le précepte et en nous endormant dans la tentation, en commençant par nous dire que le projet qu'on nous soumet va dans le bon sens, puis en nous disant qu'il ne va pas assez loin. Ce n'est pas dans ce balancement qu'on trouvera ce qui distingue les réformistes des révolutionnaires : leur opposition tient du souvenir quand on en est à se demander s’il y a encore des révolutionnaires, et que l’on constate que ceux qui se disaient tels il y a vingt ou trente ans en sont réduits aujourd’hui à organiser la défense des conquêtes du réformisme, abandonnées par les réformistes eux-mêmes.

La patience est une vertu révolutionnaire, disait Robespierre. L'impatience aussi, ponctuait Saint-Just. Il y a juste un temps pour l'une et un moment pour l'autre.

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