Hausse des primes d'assurance-maladie : L’assommoir


Alain Berset aurait certainement préféré ne pas avoir à nous l'annoncer avant de quitter le Conseil fédéral (sachant qu'il ne l'aurait plus à le faire après), mais il a bien dût le faire, même s'il n'est pas responsable de ce qu'il annonce : les primes d'assurance-maladie vont augmenter l'année prochaine de 8,7 % en moyenne suisse (soit 29 francs par mois d'augmentation moyenne), de près de 10 % dans le canton de Vaud (la plus forte hausse de Romandie), et de 9,1 % à Genève (la hausse plus importante depuis 2010) et une
prime moyenne toutes classes d'âge confondues de 416,3 francs, la plus haute de Suisse. Pour un adulte, la prime moyenne augmente de 44 francs par mois en moyenne, pour un couple avec un enfantde près de 110 francs - la prime des enfants augmente de près de 10 francs par mois. Pendant quoi, les principaux acteurs privés de la santé et de la médecine voient leurs bénéfices croître. Tant mieux pour eux. Tant pis pour nous.  

De la LAMAL à une véritable sécurité sociale ?

On a en Suisse un excellent système de santé, mais à un coût ahurissant pour les assurés, parce que ce système souffre d'abord d'une "gouvernance" absurde (des pouvoirs plus que partagés : éparpillés). Une fois la LAMAL acquise (ce n'est pas elle qui en en cause), on a laissé le système en roue libre, et la courbe des primes suivre celle des coûts. Qui est responsable de cette progression des coûts ? Evidemment pas, pour leur faîtière, les assurances-maladie mais, en vrac : les médecins, trop nombreux (par rapport à la population, particulièrement à Genève qui détient le record suisse de la densité médicale), les spécialistes, trop nombreux aussi, et trop chers (les physiothérapeutes, par exemple, avec une hausse de 20 % des coûts par assuré les consultant à Genève ou dans le canton de Vaud), les médicaments, trop chers (même les génériques, vendus deux fois plus chers en Suisse que dans les pays voisins), les tarifs médicaux (le tarif à la prestation pousse à la multiplication des actes médicaux), des traitement inefficaces mais remboursés, l'abus de prescriptions de somnifères et de sédatifs, la passivité des cantons (mais  la faîtière des assurances-maladie ne propose évidemment pas la création de caisses publiques cantonales, elle veut que les caisses privées restent maîtresses du système...). Bref, tout le monde est responsable, sauf les assureurs. On leur saura gré de ne pas accuser carrément les malades d'être responsables des coûts de la santé, mais on les sent prêts à le faire.

Est-ce alors le Conseil fédéral qui est responsable de l'explosion des primes ? Ce n'est pas lui qui les fixe, les primes. Les cantons calculent les coûts, les assureurs font des propositions (SantéSuisse évoquait déjà cet été une augmentation de 8 à 9%), l'Office fédéral de la santé publique synthétise.  Et les cantons paient, tout ou partie des primes, pour celles et ceux qui ne peuvent pas les payer : un tiers de la population romande reçoit des subsides... Il y a donc bien, déjà, des caisses publiques : celles des cantons qui paient les primes d'une part croissante de leur population. Les ménages à bas revenus doivent, même lorsqu'ils bénéficient de subsides pour réduire le montant de leurs primes (encore que nombre d'entre eux ne sachent pas comment les obtenir, ces subsides, dans les cantons où ces réductions ne sont pas accordées automatiquement comme elles le sont dans sept cantons), y consacrer jusqu'à un un septième de leur budget annuel, soit un mois et demi de salaire -seuls échappent à cette obligation celles et ceux dont le revenu est si bas que l'Etat prend en charge totalement leurs cotisations. Beaucoup de ménages à bas revenus choisissent, pour réduire leurs primes, des franchises élevées, et lorsque la maladie les frappe, hésitent à se rendre chez le médecin, ne s'y rendent que tardivement, ce qui aggravent leur état de santé -et donc le coût des soins qu'ils doivent recevoir, et s'endettent pour payer leur part des soins. Et un adulte sur cinq renonce à des soins pour des raisons financières -une proportion plus élevée encore quand il s'agit de soins dentaires.

Que faire, comme se demandait l'autre ? Le PS a fait aboutir une initiative populaire pour plafonner le montant des primes d'assurance-maladie à 10 % du revenu disponible des particuliers ou des ménages -une disposition déjà en vigueur dans le canton de Vaud et que les socialistes veulent étendre au reste de la Suisse, la Confédération assumant les deux tiers de la réduction des primes, les cantons le tiers restant. Le PDC a également fait aboutir une initiative populaire pour "baisser les primes -pour un frein aux coûts de la santé", et l'UDF (la droite évangélique) en a lancé une du même genre. Mais aucune de ces initiatives ne remet en cause le système suisse de l'assurance-maladie, ni son financement : celle du PDC ne propose, pour baisser les primes, que la "solution" de baisser les coûts de la santé si les primes augmentent plus vite que les salaires, et celle du PSS ne propose que de plafonner le montant des primes, sans les fixer réellement en proportion du revenu disponible. Quant au Conseil fédéral, il a mis en consultation un contre-projet à l'initiative socialiste. Le Conseil fédéral propose que la part cantonale liée à la réduction des primes (elle s'élevait à 43 % en 2019) soit liée aux coûts bruts de la santé, les cantons où ces coûts sont les plus importants et la charge sur les ménages la plus lourde, devraient payer plus. Les primes d'assurance-maladie sont une sorte d'impôt, puisque l'assurance est obligatoire (et le paiement des primes aussi...). Mais c'est un impôt profondément injuste, puisque les primes sont fixes, et ne tiennent aucun compte de la capacité financière des assurés : une travailleuse pauvre paie la même prime qu'un milliardaire... et si cette travailleuse pauvre est dans un ménage de quatre personnes, ce ménage paiera beaucoup plus que ce milliardaire -pour ne pas être mieux couvert ni mieux soigné.

Le système actuel convient parfaitement aux caisses. Elles ne songent à le réformer qu'en accentuant encore ses tendances : n'assurer obligatoirement que les gros risques et laisser les autres aux assurances complémentaires, rembourser le moins possible de soins et d'interventions, ne les rembourser qu'en une proportion la plus basse possible, en augmentant les franchises, alors que leur niveau actuel, même en prenant les plus basses, dissuade déjà nombre d'assurés d'entre les plus modestes de recourir à des soins -d'autant que certains (dont les soins dentaires) ne sont même pas couverts du tout par l'assurance de base. Et n'oublions pas les milliers de personnes sans statut légal, sans assurance-maladie, complètement hors du système, et dans l'impossibilité de cesser de travailler quand elles sont malades : elles y perdraient leur revenu, voire leur emploi.

Quant au PLR, il nous a sorti en juillet une proposition d'assurance-maladie de base "à la carte", avec des primes abaissées de 25 %  à condition qu'on renonce au remboursement de certains traitements, de médicaments dont il existe un générique ou qu'on accepte une franchise allant jusqu'à 3500 balles, à la charge de l'assuré. Une assurance-maladie pour pauvres ou pour personnes en bonne santé, quoi, alors que le principe même de l'assurance-maladie modèle LAMaL, et qui resterait celui d'une véritable sécurité sociale, est que les personnes en bonne santé financent les soins de celles qui ne le sont pas. En fait, le PLR ne propose rien d'autre qu'une médecine à deux vitesses -ce que même les assureurs de SantéSuisse refusent : "l'accès uniforme de tous les assurée à l'ensemble des prestations de l'assurance de base est un acquis social qui doit être préservé"... 

La droite et les assurances répondent aux propositions de la gauche en exorcisant le spectre d'une "étatisation" du système. Mais il l'est déjà largement, étatisé, ce système : c'est la loi, c'est-à-dire l'Etat, qui détermine quelles prestations sont remboursées par les caisses; c'est l'Office des assurances sociales, c'est-à-dire l'Etat, qui fixe le montant des primes; c'est l'Etat qui verse des subsides aux assurés (plus du quart de la population) qui n'arrivent pas à payer intégralement leurs primes d'assurance et c'est l'Etat (qui paie intégralement, aux assurances (et pas aux assurés) les primes de celles et ceux qui ne peuvent pas du tout les payer... Ce sont des milliards sont ainsi versés chaque année aux assurances par l'Etat, qui permet ainsi au système de survivre à ses propres insuffisances et de résister (victorieusement, jusqu'à présent) à toutes les tentatives d'y substituer une véritable sécurité sociale à laquelle chacun.e contribuerait en fonction de ses ressources, et qui fonctionnerait à moindre coût que l'oligopole des assurances. Une telle assurance-maladie publique transformée en sécurité sociale serait économiquement plus solide que les assurances privées (comme l'AVS est plus solide que le IIe Pilier...), maîtriserait mieux ses coûts, serait mieux contrôlée, pourrait se passer de tous les intermédiaires dont le système actuel foisonne, et n'aurait nul besoin de dépenser quoi que ce soit pour sa publicité, et moins encore pour "piquer" des assurés à d'autres caisses ou se livrer à la "chasse aux bons risques". Et surtout, elle assurerait un accès égal aux soins.

On n'en est pas encore là. Mais on est est tout de même là où on ne peut que constater que le système en vigueur est à bout de souffle, qu'il est injuste, et que, fondé pour assurer à toutes et tous un accès égal aux soins, il a même failli à cette mission originelle. Alors, qu'est-ce qu'on attend pour en changer, et en changer pour mieux, pas pour pire ? Une chose, seulement, une formalité : une majorité politique (au gouvernement, au parlement, dans le peuple) pour en décider.

Le diagnostic a été fait, la maladie est connue, le traitement est disponible -mais y'a-t-il un médecin dans la salle ?













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