85 ans après la Nuit de Cristal : permanence de l'antisémitisme

A Genève comme dans beaucoup de villes d'Europe, en Suisse comme dans nombre de pays voisins, les signes de l'antisémitisme, c'est-à-dire plus précisément dit de l'antijudaïsme puisque seuls les juifs en sont la cible, réapparaissent. On savait qu'il n'avait pas disparu, on craignait que le temps passant depuis la Shoah et ses survivants disparaissant à son fil, permette à cette vieille saloperie de monter à nouveau son mufle, Pour autant, on ne s'y attendait pas. On aurait dû, pourtant -à chaque moment d’exacerbation du conflit israélo-palestinien ce moment est utilisé comme prétexte pour que s'exprime à nouveau le vieil antisémitisme qui, sous une forme ou une autre, politique ou religieuse, sévit en Europe. En France, une partie de la gauche de la gauche (une partie, seulement) a refusé de s'associer à une marche de dénonciation de l'antisémitisme, au prétexte imbécile et inacceptable qu'elle ne dénonçait pas aussi la destruction de Gaza ou que Marine Le Pen allait y participer (laissons-là finir de tuer le père). On est navrés de devoir le rappeler même à certains de nos camarades : l'antisémitisme est une saloperie à combattre et à condamner comme telle, sans circonstances atténuantes, sans sursis et sans circonvolutions autour du pot de chambre, du genre "oui mais, quand même, c'est de la faute à Netanyahou si on tague des croix gammées sur les synagogues".

L'islamophobie ne révoque pas la judéophobie, elle ne fait que s'y ajouter, comme un miasme à une puanteur.

Sur fond de complotisme nourri de la pandémie, le vieil antisémitisme avait déjà repris une nouvelle jeunesse, les réseaux sociaux le diffusant (et diffusant les théories du complot) comme jamais. La pandémie, c'était un complot, ou une mystification, ou les deux à la fois, mais toujours apatrides et mondialistes. Et ourdis par des juifs obsédés par le profit qu'ils pouvaient en tirer, et toujours animés  de la volonté de nuire. On avait vu dans les manifs antivax  françaises des manifestants porter des étoiles jaunes. Comme s'ils étaient menacés d'une rafle, d'une déportation et d'une chambre à gaz. Et un candidat à une élection cantonale en Suisse postait une image de l'entrée d'un camp de concentration, remplaçant le sinistre "Arbeit mach frei" par un "le pass sanitaire rend libre", d'autres postaient des images de Mauro Poggia ou Alain Berset en uniformes SS. La connerie, là, le disputait à la saloperie. Et voilà qu'aujourd'hui les auteurs d'un pogrom sont qualifiée de résistants. De résistants à qui, à quoi ? 

Revenons aux sources : L'antisémitisme historique, celui du christianisme naissant et se vouant à se distinguer de sa propre source juive, puis du christianisme triomphant, est un antijudäisme, l'exécration œdipienne d'une religion d'où il sourd sans vouloir l'admettre. Il se transforme progressivement en judéophobie, avec à la clef une succession de massacres qu'on n'appelait pas encore pogroms, mais qui en étaient : les juifs sont responsables des guerres, propagent la peste, volent les richesses... comme aujourd'hui, tous les juifs sont coupables des bombardement de Gaza.

On se retrouve emballés dans un tissu de confusions malsaines entre une religion (le judaïsme), ses fidèles (les juifs), des communautés (juives), un projet politique (le sionisme), un Etat (Israël), son peuple (les Israéliens -dont un sur cinq sont musulmans ou chrétiens, sans compter les agnostiques ou  les athées), et son gouvernement. Vous êtes antisionistes ?  soit, mais c'est une position politique : soyez-le comme le sont les anarchistes, ou comme le fut Martin Buber, pour qui l'Etat (juif ou non) est un golem. Soyez antisionistes par antinationalisme, pas par antijudaïsme. Car ce nationalisme-là ne vaut ni mieux ni pire que les autres, et un antisionisme confondant dans la même détestation Israéliens et juifs, puis Israéliens entre eux et juifs entre eux, n'est précisément que de l'antijudaïsme. C'est-à-dire de l'antisémitisme. Ce n'est pas être antisémite que dénoncer la politique de l'Etat d'Israël ou de son gouvernement. Ce n'est même pas, ou ce ne devrait pas être, antisémite qu'être antisioniste. Le sionisme est un projet politique nationaliste né au XIXe siècle, dans la foulée du "printemps des peuples" et du vaste mouvement des nationalités. Il constitue des communautés religieuses dispersées en peuple, il proclame que ce peuple a vocation à être une nation, et que cette nation a vocation, comme toutes les autres, à se doter d'un Etat. Les sionistes, au départ, ne sont souvent même pas juifs au sens religieux du terme -ils le sont culturellement, comme le sont aujourd'hui toutes celles et tous ceux qui héritent d'une culture, des références de cette culture, d'habitudes de vie, sans plus même croire en Dieu et sans jamais prendre la Torah pour vérité absolue et le Talmud pour loi.

La transformation de la religion en race, voire en classe (un antisémitisme "socialiste" va assimiler les juifs au capitalisme) est une ânerie absolue, mais efficace. Drumont la résume, Hitler en fait la justification de la Shoah. Or"juif", ça renvoie à une religion, pas à une ethnie ou une langue. Il y a des juifs arabes et des arabes juifs (ou chrétiens, ou athées)...  l'ethnicisation, le racialisation du judaïsme renvoie à l'anthropologie raciale, dominante au XIXe siècle. L'idéologie raciale nazie ne sourd pas d'ailleurs quand elle substitue à la vieille opposition entre chrétiens et juifs une opposition entre "aryens" et "sémites" (en racialisant ces deux concepts, et en faisant de la catégorie linguistique des langues sémitiques, qui comprend notamment l'arabe, une catégorie raciale ne comprenant plus que les juifs).... comme le suggérait ce bon Socrate, la confusion des mots provoque la confusion des idées...

L'antisémitisme ne vise que les juifs, il n'a rien à voir avec les juifs réels : l'antisémite invente "son" juif. Et projette sur lui tous ses fantasmes. Il aurait pu le projeter sur d'autres, sur le musulman, le protestant, le païen, mais c'est sur le juif. Parce que le juif était là avant, et qu'il est plus près : on l'avait en quelque sorte sous la main, sous le gourdin, le knout, la hache.  L'islamophobie n'est pas de l'antisémitisme, même si elle y ressemble : Prenez les textes de Drumont, remplacez-y toutes les références aux juifs par des références aux musulmans, vous aurez le discours de Zemmour. 

L'antisémitisme, au sens d'antijudaïsme, doit être condamné comme tel, en tant que tel, sans qu'on soit ou se sente obligé d'y adjoindre une condamnation de quoi que ce soit d'autre (la politique de l'Etat d'Israël, son gouvernement, le sionisme...). Et de même, l'islamophobie être condamnée comme telle, sans qu'on soit ou se sente obligé d'y adjoindre une condamnation de quoi que ce soit d'autre (du terrorisme, de l'intégrisme ou du Hamas). Chacun de ces deux maux suffit à sa condamnation. L'islamophobie ne révoque pas la judéophobie, elle ne fait que s'y ajouter, comme un miasme à une puanteur. Du même ventre encore fécond peuvent sortir deux bêtes jumelles.

Commentaires

  1. Beaucoup d'excellentes choses dans cet article, ami Pascal, notamment dans les informations sur les origines du sionisme comme nationalisme du XiXème. Je n'occulterai pourtant pas un désaccord sur ta rage de dénoncer ce que tu taxes d'imbécillité crasse de la LFI ( et d'autres juifs patentés comme Rony Brauman et moins patentés comme ton serviteur) de ne pas participer à la manifestation parisienne contre l'antisémitisme. Bon, tu nous rabats aussi sur le complotisme en matière de pandémie, c'est un autre débat. Ce me semble malgré cela une impardonnable (et feinte en ce qui te concerne) naïveté que de l'assimiler à un refus de condamner l'antisémitisme d'où qu'il vienne pour son intrinsèque puanteur, en ne voyant pas, ou plutôt fermant les yeux sur, l'instrumentalisation gouvernementale derrière cette injonction morale qui demande de manifester aux côtés de Zemmour ou Marine pour exclure la LFI de l'"arc républicain" en y acceptant l'extrême-droite française. Oui, hélas la politique de l'état israélien, en effet à distinguer des juifs comme peuple aux contours historiques si contestés dont tu cites admirablement les exemples, est depuis longtemps, de par l'appui donné à cette tentative marquée, parfois à son corps défendant, au sceau du colonialisme occidental (entre parenthèses il en est d'autres, comme tu sais, de colonisations de peuplement) est un piège qui peut s'avérer mortel pour le peuple juif et la nation qu'il mérite à l'égal des autres peuples, y compris avec les défauts et parfois aux crimes du nationalisme. Et c'est incontestablement utiliser les inquiétudes profondes des communautés juives face à l'antisémitisme qui de rampant devient frontal pour appuyer le droit d'Israël de se défendre pour "éradiquer" ou "anéantir" ou lui ôter toute possibilité de récidiver en envahissant Gaza et contraignant des millions de palestiniens à l'exode pour échapper au génocide d'un nouveau genre, apparenté à la fuite éperdue de la Nakba. Résister à cette instrumentalisation est un devoir, celui d'être assimilé avec Edgar Morin, Stéphane Hessel, voire Albert Einstein aux antisémites par les Caroline Fourest de tout poil.

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