Gaza : le mot "génocide" est lâché

 

Le 29 décembre, l'Afrique du Sud a saisi la Cour pénale internationale de l'accusation du crime suprême de génocide, pour les actes d'Israël à Gaza et dans les territoire palestiniens."Génocide" :  le mot est lâché, par un Etat important, devant une juridiction internationale légitime et reconnue. Il l'avait été aussi un et deux mois auparavant par des tribunes publiées par des universitaires, des juristes, des experts de l'ONU. Et il a été en quelque sorte confirmé par les déclarations de ministres israéliens proclamant haut et fort le projet de vider Gaza de ses habitants, voire, si possible, la Palestine des Palestiniens. Il ne faisait déjà aucun doute que des crimes de guerre étaient commis à Gaza (et que des crimes contre l'humanité dans le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre), considéré désormais par l'ONU comme un "lieu de mort et de désespoir". Est considéré comme crime de guerre toute violation grave du droit international humanitaire,  tel que défini par les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels, commise contre des civils ou des combattant ennemis à l'occasion d'un conflit armé international ou interne : meurtres, atteintes à l'intégrité physique ou à la santé, viols, attaques intentionnelles contre la population civile, pillages et destructions de biens civils. On y est, pour le moins. On peut également considérer, comme le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, que "si le Hamas a commis un acte de terrorisme (le 7 octobre), l'Etat d'Israël en commet également en ne tenant pas compte du fait que les enfants et les femmes ne sont pas en guerre" président du Brésil).

"Génocide", ce n'est pas un mot à lâcher en l'air,

"Une guerre qui cesse d'être juste devient juste une guerre". résume le correspondant du "Monde" à Washington. Après trois mois de guerre "contre le Hamas" devenue une guerre contre la population civile, on en est, au premier jour du quatrième mois de cette guerre, dimanche, à 23'000 morts palestiniens identifiés, majoritairement des femmes, des enfants et des adolescents, sans compter  trois otages israéliens tués "par erreur" par l'armée israélienne, et au moins 8000 corps enfouis sous les gravats. L'ONG Human Rights Watch a accusé le 18 décembre Israël d'affamer délibérément la population de Gaza et d'utiliser "la famine des civils comme technique de guerre dans la bande Gaza occupée, ce qui constitue un crime de guerre". Selon HRW, l'armée israélienne bloque "délibérément" l'accès à l'eau potable et à la nourriture et au carburant", et entrave "intentionnellement" l'aide humanitaire. L'OMS annonce que le service des urgences de l'hôpital al-Chifa est devenu un "bain de sang" où des blessés sont suturés à même le sol. Plus de 80 % des Gazaouis, soit deux millions de personnes, ont été déplacés depuis le début de l'offensive israélienne, et 800'000 personnes sont bloquées dans le nord de la bande. L'exode palestinien est déjà pire que celui de la Naqba de 1948, et l'International Crisis Group considère que la stratégie israélienne est un moyen de réaliser ce dont personne ne veut (sauf l'extrême-droite israélienne) : "la déportation des Gazaouis en Egypte". Peut-être pas encore un génocide, sans aucune doute déjà une épuration ethnique. Objectivement autorisée par les USA, lorsqu'ils ont, le 8 décembre, opposé leur veto au Conseil de Sécurité à une résolution en faveur d'un "cessez-le-feu humanitaire immédiat".

Un mot peut éteindre le débat sur la chose qu'il prétend désigner : "Génocide", ce n'est pas un mot à lâcher en l'air, c'est le mot qui définit le crime absolu. Et c'est à une instance légitime en droit international de décider d'en faire un acte d'accusation. Tout massacre, toute épuration ethnique, tout crime de guerre n'est pas un génocide, mais génocide ou pas, à Gaza, le crime est commis, comme un crime fut commis le 7 octobre par les bandes armées du Hamas en Israël, que l'on définisse ou pas ce crime comme étant celui d'un pogrom.

Israël est donc face à une accusation de génocide, commis, comme en donne  la définition en droit international, dans "l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux", en le soumettant à des conditions "devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle" -or rendre Gaza inhabitable est un objectif avoué de l'offensive israélienne. Ce crime est millénaire, sa définition légale moins que séculaire : elle résulte de la Shoah, mais ne s'applique pas qu'à elle (le massacre des Tutsis au Rwanda a été reconnu comme un génocide), d'autant que les nazis ne s'en sont pas rendus coupables que contre les juifs, ou ceux qu'ils considéraient comme tels, mais aussi contre les Tziganes, les handicapés mentaux, les homosexuels. La rapporteuse spéciale de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, résume : "c'est justement parce que la leçon du génocide contre les juifs a été forte que nous avons une responsabilité à reconnaître quand ce crime peut se dérouler ailleurs". S'il l'a été par Israël à Gaza, et que cela est reconnu par une juridiction internationale, Netanyahou, son gouvernement, les responsables militaires de la destruction de Gaza, des 23'000 morts qu'ils y ont fait et les forces politiques israéliennes qui au moins soutiennent cette offensive, voire incitent à la radicaliser encore, sont non seulement accusées d'être coupables du crime absolu, mais déjà coupables de faire accuser de génocide un Etat né du génocide des juifs par les nazis. 


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