8 mars, journée internationale des droits des femmes

"Jin, jihan, azadi" ("Femmes, vie, liberté" en kurde)

8 mars, journée internationale des droits des femmes. "Des droits des femmes", pas "des femmes". Comme le 1er mai sera la journée internationale "des droits des travailleuses et des travailleurs", pas la "fête du Travail". Cette journée se célèbre, depuis des années, sur fond de "Backlash", de retour en  arrière sur les conquêtes des dernières décennies du XXe siècle et le début du XXIe, de défense de leur domination par les dominants, et d'un pouvoir sur le corps, le temps et l'espace des femmes. Et on ne parle pas là de l'Afghanistan -mais de nos pays. Et on ne parle pas là seulement des offensives les plus spectaculaires contre les conquêtes par les femmes de droits qui leur étaient niés, comme celui à l'avortement, effacé dans 14 Etats américains (mais, en heureuse réponse, constitutionnalisé en France) mais aussi du quotidien, de l'air du temps, des comportements apparemment les plus anodins, des stéréotypes persistants, de l'Ecole Ménagère remplacée par les influençeuses "#tradwife", de la publicité. Et toujours des violences psychologiques, morales, verbales, économiques, physiques,  sexuelles que subissent les femmes, parce qu'elles sont femmes.

A Genève, la manifestation d'aujourd'hui pour les droits des femmes commencera à 17h30, devant la Poste du Mont-Blanc.

"Qu'une femme infortunée sente la première le poids de sa chaîne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever ?"

L'ancienne Conseillère fédérale PDC Doris Leuthard, menacée par son mari, a dû faire appel à la police pour en être protégée : le mari, ivre, a fini en prison, et l'épisode dans les media. Fallait-il en parler ? Et en parler, n'est-ce le faire que parce que la victime est une ancienne conseillère fédérale, alors qu'on fait silence sur des centaines, voire des milliers, de cas de femmes comme les autres, menacées, battues, par leur conjoint ? "Le Matin Dimanche" pose la question. Deux Conseillères nationales genevoises y répondent : la socialiste Laurence Fehlmann Rielle répond "oui" : "le cas de Mme Leuthard montre aux autres femmes que cela peut arriver à tout le monde". L'UDC Céline Amaudruz répond "non" : "si cela m'arrivait, je trouverais affreux de voir mon nom s'étaler dans les journaux". Les deux positions sont défendables : comme le dit Laurence Fehlmann-Rielle, "il y a une utilité sociale à montrer que la violence domestique touche tous les milieux et que même une ancienne conseillère fédérale peut en être la victime. (...) autant que cela rende service à d'autres, plutôt que cela soit caché sous le tapis". Mais comme le suggère Céline Amaudruz, "le citoyen lambda se dira cependant qu'on en parle uniquement parce que c'est Doris Leuthard alors qu'on me médiatise pas les violences domestiques de tout un chacun". Comment sortir du dilemme ? En laissant aux victimes le pouvoir de décider elles-mêmes de médiatiser ce qui leur arrive. Mais sans se faire d'illusions : les media évoqueront plus spontanément le cas de Doris, ancienne conseillère fédérale, que celui de Fatou, nettoyeuse.

L'assignation des femmes à la fonction reproductive, au sens large (la gestation et la naissance, évidemment, mais aussi le soin apporté aux autres au sein de la famille, sur le marché du travail et dans les services publics) est à la source de toutes les formes de domination des femmes dans tous les champs sociaux (et politiques), d'autant qu'elle se conjugue aux autres formes de domination -notamment de classe et d'origine, dans une organisation sociale fondée précisément sur des rapports de domination -des rapports de pouvoir. De sorte qu'il est à la fois impossible d'analyser le domination des femmes hors des autres formes de domination (à commencer par la domination économique, les rapports de production), et d'analyser ces autres formes hors de celle-ci. Et qu'il est donc impossible de mettre fin à une de ces domination sans mettre fin aux autres : l'anticapitalisme suppose le féminisme, qui suppose l'anticapitalisme. Et les deux supposent l'auto-organisation des dominé.e.s contre les dominant.e.s (car il y a des dominantEs...), et des luttes collectives. La philosophe féministe Geneviève Fraisse considère qu'il faut "toujours reposer la question des conditions matérielles d'une émancipation possible".

"J'attends que (les femmes) fassent la révolution. Je n'arrive pas à comprendre, en fait, qu'elle n'ait pas déjà eu lieu" : ce sont les derniers mots écrits de Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet dernier. On les retrouve dans son témoignage posthume, "Une farouche liberté" (Grasset). Que "n'arriv(ait) pas à comprendre" l'avocate et militante de 93 ans ? Que trop de femmes "consentent à leur oppression" -un consentement "mué en complicité" que "religion et culture se liguent depuis des siècles pour fonder". Comme disait Balzac, "la femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône". Et Gisèle Halimi, pour qui "on ne naît pas féministe, on le devient", de rappeler La Boétie et "la règle qui perpétue les grandes oppressions de l'histoire : sans le consentement de l'opprimé (individu, peuple ou moitié de l'humanité), ces oppressions ne pourraient durer".

"Qu'une femme infortunée sente la première le poids de sa chaîne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever ?", écrit Merteuil à Valmont, dans les "Liaisons Dangereuses" de Choderlos de Laclos. Marquise, Merteuil pouvait poser, et même SE poser la question... aurait-elle été immigrante clandestine, racisée, sans domicile, sans statut social, l'aurait-elle pu ?

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