Cé què l'printemps !

13e rente AVS : la "mère des batailles" ? en tout cas une première victoire...

La votation sur la 13e rente AVS était, à en croire le titre de la "Tribune de Genève" de vendredi, la "mère des batailles" -autant, d’ailleurs  pour les partisans de la proposition syndicale que pour ses adversaires. La "mère des batailles" ? En tout cas, la première que nous gagnons par une initiative sur ce terrain -et nous la gagnons largement : En 2016, les mêmes forces (les syndicats, les partis de gauche) qui ont lancé ou soutenu l'initiative pour une 13e rente AVS s'étaient battues pour l'initiative "AVSplus", qui demandait une hausse de 10 % des rentes AVS. Et nous fûmes alors aussi largement battus (59 % de "non", et seulement cinq cantons pour le"oui") que nous avons été vainqueurs hier. Mais nous avons gagné une bataille -pas encore la guerre... Et si, dans deux ans au maximum (délai donné par l'initiative) cette victoire va améliorer concrètement la vie des retraité-es, présents et à venir, d'autres batailles s'annoncent. Pour l'heure, on jubile (en chantant le cé què l'aîno) : à Genève, les (treize) premiers bourgeons du marronnier de la Treille ont annoncé le printemps. Même au PAV.

La lutte des classes se mène aussi pour aboutir dans les urnes

Depuis l’introduction de l’AVS en 1948, jamais une initiative populaire visant à modifier le premier pilier de nos retraites, le seul qui soit solide et solidaire, n’avait été acceptée. On pouvait craindre qu'une majorité populaire pour une 13e rente AVS soit annulée par une majorité de cantons s'y opposant. Crainte rationnelle, mais démentie par les faits : non seulement la majorité du peuple est claire (plus de 58 %), avec une participation majoritaire même dans des cantons comme Genève où elle est habituellement minoritaire, mais la majorité des cantons est nette. Et pour plus de plaisir encore, l'initiative des "jeunes" PLR pour un âge de la retraite repoussé régulièrement en fonction de l'espérance de vie,  est balayée alors qu'elle était soutenue par la droite dans un pays où la droite est majoritaire.

Le comité d'initiative rappelle que ce succès ne tombe pas du ciel : "Des dizaines de milliers de personnes se sont engagées, en donnant de l’argent, en distribuant des tracts, en mobilisant leur entourage. Tout ça ne va pas de soi. Ce succès est notre succès commun. Nous avons montré qu’ensemble, nous pouvons faire changer les choses". Pour autant, le combat pour ou contre la 13e rente ne fut pas un combat monolithiquement gauche-droite, même si l'initiative venait de la gauche et que tous les partis nationaux de droite(Verts libéraux compris) la combattaient : à Genève, l'UDC, le MCG et les Verts libéraux la soutiennent et en Valais l'UDC laisse le liberté de vote. Ce n'était pas non plus un combat des vieux contre les jeunes, des retraités contre les actifs. La Fédération des associations des retraités et de l'entraide en Suisse (Fares) et l'AVIVO soutenaient l'initiative, Pro Senectute ne se prononçait pas...En revanche, dans les budgets de campagne, on est face à un vrai clivage gauche-droite : celui des opposants est plus de deux fois plus important (3,65 millions) que celui des partisans (1,54 million, provenant pour plus du tiers de contributions individuelles modestes, pour un tiers (550'000 francs) des contributions des syndicats qui ont lancé l'initiative, et pour le reste notamment du PS (220'000 francs). Et c'est une raison supplémentaire de se réjouir du résultat de dimanche, que d'observer que, politriquement, "le fric ne fait pas tout", toujours...

Trois clivages ont marqué le vote, mais moins radicalement que prévu : le Röstigraben, d'abord (le "oui" à la 13e rente est clair, et même parfois massif, en Romandie et au Tessin, bien plus modéré en Alémanie, où on retrouve les seuls cantons s'y opposant); le clivage de genre, ensuite : les femmes ont sans doute été plus favorables à l'initiative que les hommes; le clivage de génération, enfin : les jeunes ont sans doute (mais cela mérite vérification...) refusé l'initiative en plus forte proportion que leurs aînés. Et, à en croire les sondages d'avant le vote, il est vraisemblable que d'autres clivages s'ajoutent à ces trois-là : ceux selon le niveau de formation (plus il est haut, plus le "oui" est bas), le niveau de revenu (plus il est bas, plus on a besoin d'une 13e rente, faute de 2e pilier suffisant et en l'absence de 3e pilier) et le lieu d'habitat (les villes sont bien plus favorables que les campagnes à l'initiative). Mais si le clivage de la votation ne reproduit pas le clivage gauche-droite, il a tout de même une forte composante de classe. La luttes de classes se mène aussi pour aboutir dans les urnes.

Les deux initiatives pour la 13e rente et pour le report de l'âge de la retraite ont, chacune à sa manière, et avec des projets rigoureusement contradictoires, relancé dans la campagne précédant la votation le débat sur le système de retraites, son renforcement, ses principes. Et ce débat va se poursuivre, puisque nous voterons encore cette année sur (contre) un projet qui péjore les rentes du "deuxième pilier"(la prévoyance professionnelle obligatoire). Or après sa défaite d'hier, la droite n'a pas vraiment fait son autocritique (tout au plus regrette-t’elle de n'avoir pas su proposer un contre-projet à l’initiative  syndicale: son initiative pour fixer l'âge de la retraite en fonction  de l'espérance de vie (même pas de l'espérance de vie en bonne santé : en fonction de l'espérance de vie en soins intensifs...) a été balayée ? la droite annonce que le report de l'âge de la retraite va être à nouveau proposé, et proclame qu'il est inéluctable.  Mais ce qui nous semble à nous inéluctable, c'est de renforcer le premier pilier du système de retraite (l'AVS). Et de se poser sérieusement la question  de l’intégration du 2e pilier dans l’AVS, à qui la majorité des votantes et des votants dans la majorité des cantons a hier proclamé son attachement.

Une bataille gagnée, c'est un combat gagné, pas un combat terminé, et celui pour un système de retraite efficace, solide, solidaire, continue. Il est séculaire : il a commencé en 1918, par une revendication de la Grève Générale. Il s'est poursuivi dix ans plus tard par l'adoption du principe constitutionnel d'une assurance des retraites, puis, encore vingt ans plus tard, la création de l'AVS. Il va devoir se poursuivre, parce que la 13e rente, au fond, ne fait que compenser la perte de pouvoir d’achat depuis 2021, et qu'on ne respecte toujours pas l’objectif constitutionnel de l’AVS. Et parce que la droite nous promet d’autres baisses de revenus pour les retraité-e-s avec la réforme de la prévoyance professionnelle, et l'assurance déjà donnée qu'elle reviendra à la charge pour reporter l'âge du droit  à la retraite.

On aura donné, dimanche, un signal qui ne peut être ignoré : celui de la nécessité de renforcer le 1er pilier, seul pilier de prévoyance véritablement solidaire et reposant sur un système de financement solide. Tout l’inverse du 2e pilier,  panier percé qu’il faudra bien un jour, et le plus tôt sera le mieux, remettre en question fondamentalement.

Que scandait-on, déjà, naguère ? Ah oui : "Ce n'est qu'un début, continuons le combat". Et là, pas de retraite qui tienne !






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