Réforme des statuts du Grand Théâtre de Genève et de son personnel : Décisions suspendues
Mardi et Mercredi derniers, le Conseil municipal de Genève planchait sur un vieux dossier, un vieil enjeu. Deux enjeux, en fait :la réforme des statuts de la Fondation du Grand Théâtre, et le statut du personnel employé par l'institution. Sans doute, à entendre la quasi totalité de celles et ceux qui sont intervenus dans le débat, le Conseil municipal était-il persuadé qu'il allait prendre une décision historique... Heureuse illusion de grandeur : en réalité, il n'a pris aucune décision, sinon celle de faire des propositions. Une proposition faite au Grand Conseil de réforme des statuts de la Fondation -laquelle étant une fondation de droit public relève d'une loi, et donc du Grand Conseil, et une proposition faite d'un statut du personnel fondé sur le principe d'un employeur unique qui serait la Fondation, laquelle emploierait donc désormais le personnel municipal actuellement affecté au Grand Théâtre. Le Conseil municipal a donné mandat au Conseil administratif de négocier ce statut du personnel avec le personnel et les syndicats, et si cette négociation aboutit de revenir devant le Conseil municipal pour solliciter son approbation. Quant à la mise en œuvre des deux réformes, celle du statut de la Fondation et celle du statut du personnel, elles sont conditionnées à un apport financier du canton au Grand Théâtre, cet apport étant précisément indispensable à cette mise en œuvre -sauf à la faire payer par la Ville, ce qui est précisément ce qu'il s'agit d'éviter. Bref, tout est encore suspendu, et le combat continue... et la mobilisation du personnel, sans doute, aussi -mais cela, c'est lui, et lui seul, qui a à en décider.
L'employeur unique : un choix, pas une contrainte
Réformer le fonctionnement de la fondation du
Grand Théâtre, et donc en modifier les statuts, ne fait guère
l'objet de contestation, sinon sur des détails. Les statuts de
la Fondation fêteront cette année leurs 60 ans : dans cinq ans,
ils seront à la retraite. Sans treizième rente. Le projet de
réforme des statuts aurait pu faire une quasi unanimité... si le
principe d'un employeur unique de tout son personnel n'y était
posé. Or, comme le rappelait le président du Conseil de
Fondation à la Commission des Finances, la réforme des statuts
de la fondation et celle du statut du personnel sont "deux
réformes séparées", et employeur unique ou pas, on sait
déjà qu'il n'y aura pas de statut unique du personnel, seulement
un statut de moins : celui de la fonction publique municipale.
La divergence avec le personnel et les
syndicats ne porte donc pas sur le fond de la réforme des
statuts de la Fondation mais sur la question de savoir si elle
doit contenir, comme le proposait le Conseil administratif et
l'a admis le Conseil municipal, le principe de l'employeur
unique avant que les négociations sur le statut du personnel de
cet employeur unique aient commencé ou si ce principe ne doit
être adopté qu'au terme de cette négociation, comme le demandent
le personnel et les syndicats. Séparer ou pas la gouvernance de
l'institution et la gestion du personnel, négocier un statut du
personnel avant ou après avoir posé le principe de l'employeur
unique, là était la question. Et pour la gauche, en particulier
pour le PS, la question était de savoir à quoi le "partenariat
social" doit obliger une Municipalité de gauche : à améliorer le
statut du personnel de la Fondation, sans aucun doute. Mais à
l'améliorer sans dégrader celui du personnel municipal, sans
aucun doute non plus.
Au Grand Théâtre travaillent un personnel municipal engagé par la Ville, sous statut du personnel municipal, et un personnel engagé par la Fondation, sous trois statuts différents (sans compter ceux des temporaires et des artistes) : des contrats de droit privé pour la direction, une convention collective pour les chœurs, une autre pour le Ballet. A l'origine du projet d'employeur unique, il y a la volonté de fusionner sous un même statut l'actuel personnel municipal, majoritaire, et le personnel de la fondation -mais ce statut commun ne sera pas un statut unique, puisque subsisteraient les statuts de droit privé de la direction et les deux conventions collectives, plus ceux des temporaires et des artistes. Avec le passage du personnel municipal dans le personnel de la fondation, on passerait de six statuts différents à cinq statuts différents. Il n'y aurait donc pas de statut unique.
Le principe de l'employeur unique doit-il
forcément figurer dans les statuts de la fondation du Grand
Théâtre? La réforme du fonctionnement de la fondation
implique-t-elle forcément qu'elle devienne l'employeur unique du
personnel du Grand Théâtre ? La réponse à ces deux question ne
tient pas de l'évidence, mais d'un choix politique : "le
principe d'aller vers une harmonisation des statuts du personnel
avec la Fondation du GTG comme employeur unique est un choix
politique assumé", écrivent au personnel Sami Kanaan et Xavier
Obserson (président de la Fondation). Comme tient d'un choix
politique le fait de poser ce principe avant qu'aient abouti des
négociations, avec le personnel et les syndicats, sur son
contenu et ses modalités. Et comme tient d'un choix celui des
syndicats et du personnel d'appeler à la grève. "La grève, c'est
l'arme des travailleurs", la question est de savoir quand user de cette arme, si
on a décidé d'en user : pour dénoncer une
décision, ou constituer un rapport de force avant une
négociation. ? On y est. Et comme à chaque grève, l'employeur
déplore. Et là, puisqu'il y a deux employeurs, les deux
employeurs (Sami Kanaan pour la Ville, Xavier Obserson pour la
Fondation) déplorent. Chacun est dans son rôle. En même temps que la grève du personnel du Grand
Théâtre de Genève avait lieu, à Ecublens, une grève du personnel
de Micarna, la filiale bouchère de Migros. A Genève, le
personnel du Grand Théâtre faisait grève avant l'ouverture de
négociations, à Ecublens le personnel de Micarna faisait grève
après l'annonce de la fermeture du site. Vaut-il mieux faire
grève quand il encore temps ou quand il est déjà trop tard ?
Tout le débat sur le statut du personnel du Grand
Théâtre se fait sur fond de redéfinition des rapports entre le
canton, la Ville et les communes dans la conduite et le
financement de la politique culturelle genevoise, dans le cadre
posé par l'acceptation massive de l'initiative populaire
cantonale “Pour une politique culturelle cohérente à Genève”,
puis de la conclusion, en 2022, d'un accord entre le canton, la
Ville et l'Association des communes pour la politique
culturelle, et enfin de l'adoption en 2023 par le Grand Conseil
d'une nouvelle loi sur la culture. Mais ni la Constitution, ni
l'accord canton-ville-communes, ni la loi ne posent comme
condition d'un financement partagé des grandes institutions, ce
fameux principe de l'"employeur unique", ni ne demandent que la
Ville renonce à affecter du personnel municipal à une
institution culturelle devant être soutenue par le canton et les
autres communes. A lire ces textes, on lit en revanche des
prescriptions ou des recommandations à défendre les droits des
personnels des institutions culturelles, et à les renforcer. Les lignes directrices de la politique culturelle
cantonale, s'inscrivant dans la mise en œuvre de l’initiative
proclament que "Le canton entend réaliser des avancées
concrètes sur la condition professionnelle des travailleuses
et travailleurs du secteur de la culture, ce qui comprend les
questions du statut, de la rémunération et de la prévoyance,
et effectue ce travail en lien étroit avec les organisations
professionnelles". L'accord canton-Ville-communes et la
nouvelle loi sur la culture (Loi pour la promotion de la culture
et de la création artistique) prévoient la mise en œuvre d’un
cofinancement des grandes institutions (GTG, BGE, MAH) mais
visent également la garantie des droits sociaux des personnels
de ces institutions. La loi, elle, prescrit que "lorsque
l’Etat accorde des subventions aux entités exerçant des
activités culturelles, ces subventions sont conditionnées au
fait que les personnes engagées par ces entités bénéficient
d’une prévoyance sociale adéquate et du respect des conditions
de travail en usage".
Toute la question est donc de savoir si le passage à un employeur unique qui serait la Fondation est ou non porteur d'amélioration des conditions faites au personnel de la Fondation sans détérioration de celles faites à l'actuel personnel municipal. De savoir si on a une égalisation vers le haut -le statut de la fonction publique- ou vers le bas -le statut du personnel de la fondation. Si au terme du processus qui va s'engager, une partie du personnel (celui de la Fondation) voyait ses droits et sa condition s'améliorer mais qu'une autre partie, majoritaire, du personnel (celui de la Ville) voyait ses droits et sa condition se dégrader, on n'aurait respecté ni le prédicat constitutionnel, ni la prescription légale, ni la promesse de l'accord Ville-canton-commune. Ni même, d'ailleurs, l'engagement du Conseil administratif et du Conseil de fondation, encore exprimé dans leur lettre commune au personnel, à ne pas péjorer les conditions de travail.
On est donc, pleinement, devant un choix politique
souverain de la Ville de Genève de continuer ou non d'affecter
190 de ses salariés à une institution culturelle autonome -mais
dépendant matériellement totalement d'elle pour son existence
même, et continuant à en dépendre, que le canton entre ou non
dans son financement et dans son Conseil de fondation.
Le Conseil municipal a accepté nos deux propositions, visant toutes deux à renforcer sa capacité à se prononcer sur le résultat de la négociation du statut du personnel et sur le résultat de la négociation de la contribution cantonale au financement du Grand Théâtre. Car on n'atteindra pas le double objectif (du co-financement du Grand Théâtre et l'amélioration du statut du personnel de la Fondation) sans une augmentation de l’enveloppe budgétaire totale accordée à la Fondation. Or à ce jour, il n’y a aucune garantie d’un apport de fonds suffisant par l’entrée du Canton dans le financement du Grand Théâtre. Si le personnel municipal est transféré à la Fondation, ce sera à la Fondation de le payer, et cela lui coûtera plus de vingt millions de francs par année -or elle n'en a pas les moyens. Il faudra donc les lui donner, ces moyens de payer les presque 200 personnes supplémentaires qu'elle emploiera finalement. Qui va les lui donner ? Le canton ? Rien ne le garantit. Les communes autres que la Ville ? Elles ne vont pas payer 20 millions par année pour des salaires. Les mécènes non plus. Reste, forcément, évidemment, la Ville. Qui va devoir doubler (si le canton participe tout de même pour la moitié de la masse salariale supplémentaire) ou tripler (si le canton n'y participe pas) sa subvention actuelle de 11 millions par an. Qui de toute façon va devoir augmenter. Et le Grand Théâtre se retrouvera toujours dépendant des affres, des débats et des décisions budgétaires de notre Conseil.
C'est un choix que la Ville a à faire, pas une contrainte à laquelle se soumettre : ni la constitution, ni la loi, ni l'accord canton-Ville-communes, ni les lignes directrices de la politique culturelle ne la contraignent : le choix qu'a fait la semaine dernière le Conseil Municipal, et qu'il aura encore à confirmer en fonction du résultat des négociations sur le statut du personnel et de la confirmation d'une participation financière significative du canton au financement du Grand Théâtre, est de sa seule responsabilité. Le Conseiller administratif et le président du Conseil de fondation l'affirmaient d'ailleurs clairement dans leur lettre au personnel du Grand Théâtre : "le principe d'aller vers une harmonisation des statuts du personnel avec la Fondation du GTG comme employeur unique est un choix politique assumé". Un choix politique, pas une obligation. Et c'est ce choix politique que le Conseil municipal aura encore à ratifier ou à refuser. Et dans tous les cas à assumer.
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