L'UDC, de la peur du Noir à la peur du nombre
Dix millions, et alors ?
L'initiative
de l'UDC contre "une Suisse à dix millions d'habitants" a été
déposée le 3 avril, avec bien assez de signatures pour
aboutir. De quoi a-t-elle a peur, et veut-elle faire peur,
l'UDC ? d'un chiffre ou de ce qu'il désigne ? Elle avait peur
du Noir, elle a désormais peur du nombre : "Nous ne voulons
pas d'une Suisse à 10 millions d'habitants"... Et alors ?
initiative ou pas, on y arrivera tout de même aux dix millions
d'habitants et d'habitantes, on en est déjà à neuf millions,
elle n'y peut rien l'UDC... et elle le sait parfaitement.
Comme elle sait parfaitement que fermer les frontières à
l'immigration légale, c'est la remplacer par l'immigration
illégale. Comme en Grande-Bretagne après le Brexit. Ce qu'elle
réclame, c'est un contrôle strict de l'immigration, quitte à
dénoncer l'accord de libre-circulation avec l'Union
Européenne, ce qui déplaît souverainement (si on ose dire) au
patronat. La Confédération devrait prendre des mesures dès que
la population dépassera les neuf millions et demi. Et comme
elle les dépassera peut-être dans les deux ou trois ans à
venir, on y sera : les personnes admises à titre provisoire
(les Ukrainiens et les Ukrainiennes, par exemple) ne pourrait
plus obtenir aucun droit de rester, et évidemment pas la
nationalité suisse. Et s'il le faut, la Suisse résiliera le
Pacte de l'ONU sur les migrations. Et les Conventions de
Genève sur l'asile ?
Un
ectoplasme ou un épouvantail : la déferlante démographique
"Qui veut d'une Suisse à
10 millions d'habitants ?", s'interrogeait déjà l'année dernière
l'UDC propos de la "libre-circulation". Sur le même ton, et
sachant que l'équilibre des générations en Suisse n'est à peu
près supportable que grâce à l'immigration, et qu'hôpitaux et
EMS ne fonctionnent que grâce à leurs salariées et salariés
immigrés, on devrait plutôt se demander "qui veut une Suisse de quatre millions d'habitants de plus de 80 ans
torchés par 200'000
sans-papiers et 200'000 frontaliers ? l'UDC veut faire
croire (y croit-elle seulement elle-même ?) qu'on va régler tous
les problèmes en fermant les frontières, puisque l'immigration
est la cause de tous les problèmes : la crise du logement, la
baisse du niveau de vie, l'insuffisance des transports publics,
la hausse des primes d'assurance-maladie, l'engorgement des
services sociaux, la criminalité, les atteintes à
l'environnement, la fermeture des Jouets Weber et de la Gaîté...
Or face à chacun de ces problèmes, que, prône l'UDC ? Elle
refuse la 13e rente AVS et le plafonnement des primes
d'assurance-maladie, elle combat le salaire minimum, s'attaque
aux droits des locataires et fait des cadeaux fiscaux aux
multinationales et aux cadres richement payés qu'elles
importent... En 2050, un.e habitant.e de la Suisse sur quatre sera à
la retraite, un.e sur dix sera au moins octogénaire et en 2040,
il faudra 45'000 soignantes et soignants de plus
qu'actuellement. Qu'on ne pourra trouver qu'en les important ou
en les stockant de l'autre côté de la frontière (le côté des
autres) : on aura besoin de plus de 35'000 employées et
employés supplémentaires dans les dix ans, en sus des plus de
9300 nécessaires au développement des soins à domicile.
Un pseudo-écologisme
mâtiné de malthusianisme proclame que nous sommes trop nombreux"
(sauf évidemment ceux qui le proclament : ce sont toujours les
autres qui sont de trop), que nous allons épuiser les
possibilités naturelles de la planète, que la population
augmente plus vite que les ressources et que la catastrophe
finale est programmée. Mais ce raisonnement calamiteux repose
sur une hypothèse contestable et une évidence niée. L'hypothèse
contestable (comme toute hypothèse), c'est celle de
l'accroissement continu de la population humaine, au moins
jusqu'aux 10 milliards d'habitants annoncés par l'ONU pour 2050
(soit deux milliards de plus qu'en 2020). Et l'évidence niée,
c'est que ce n'est pas d'être trop nombreuse que la population
humaine va souffrir -et faire souffrir l'éco-système terrien,
mais pour une grande part d'entre elle d'être trop pauvre et
pour une autre part (la nôtre...), de trop et trop mal consommer
de ressources non renouvelables.
L'hypothèse de
l'accroissement continu de la population humaine jusqu'en 2050,
voire jusqu'à la fin du siècle, est contestée par la baisse
générale des taux de natalité (y compris dans les régions, comme
l'Afrique subsaharienne où ils sont les plus élevés) et la
réduction de la mortalité infantile. Quant au vieillissement de
la population, y compris dans les régions où elle est plus jeune
qu'ailleurs, il va continuer au fur et à mesure que
s'amélioreront les conditions de nourriture et de soins. Le
moment de la transition démographique, c'est-à-dire le moment où
une population humaine passe de taux de natalité et de mortalité
infantile forts à des taux faibles, et où cette population,
régionalement ou mondialement, se stabilise, puis se réduit,
pourrait ainsi être bien plus proche que les projections
onusiennes le prévoyaient. Et après la transition, quoi ? En
Chine, après la transition, c'est la dépopulation... Et chez
nous aussi, après la transition, nous aurions vécu, c'est-à-dire
subi, une dépopulation... s'il n'y avait eu l'immigration.
La Suisse à 10 millions d'habitants (et la Genève à 600'000...), on y arrivera... mais dans quel état ? La clef de la démographie, ce n'est pas le nombre, c'est la politique -et notamment les politiques de défense des droits des femmes, et de leur maîtrise de leur maternité... plus le statut des femmes est inférieur, l'éducation insuffisante, la planification familiale absente, les dogmes religieux prégnants, plus la croissance naturelle de la population est forte, parce que plus les femmes font d'enfants puisque moins elles ont la liberté de ne pas en faire -ou de ne pas en faire plus qu'elles voudraient.
Alors, la crainte d'une "Suisse à dix millions d'habitants", cette peur du nombre, laissons-là à qui a envie d'avoir peur de quelque chose d’inéluctable -à moins, bien entendu, d'une bonne grosse pandémie. Et pas du genre Covid, plutôt du genre peste noire du Moyen-âge... "Un spectre hante l'Occident : celui d'un déferlement de populations en quête d'allocations familiales", écrit, paraphrasant les premiers motrs du "Manifdeste communiste", le dernier "Manière de voir" du "Monde Diplomatique". Un spectre, rien qu'un spectre. Un Ectoplasme. Ou un épouvantail.
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