Syrie : Un régime vieux de cinquante ans tombe en dix jours

Chute de la Maison Assad

Il était vieux de cinquante ans, le régime syrien s'est effondré en dix jours. Les rebelles, islamistes ou non, ont pris Damas et renversé le pouvoir en place. Bachar Al Assad a pris la fuite avec sa famille (il semble qu'il se soit réfugié à Moscou, mais à l'heure où on écrit, ce n'est pas confirmé). Les forces armées loyales (en apparence) au régime se sont révélées en totale déliquescence (2000 de leurs soldats ont fui en Irak) et sans alliés au sol, le Hezbollah ayant replié au Liban, pour faire face à Israël, les forces qui avait dépêchées en Syrie pour aider Assad et l'Iran se gardant bien d'intervenir militairement. La Russie elle-même n'a rien pu faire pour sauver Assad et son pouvoir, comme elle avait réussi à le sauver en 2015. Elle ne semblait d'ailleurs pas vouloir faire grand'chose, même si elle l'avait pu et que ses forces n'étaient pas concentrées contre l'Ukraine.  Elle a pourtant installé deux bases importantes en Syrie, la base navale de Tartous sur la Méditerranée, que les six bâtiments militaires qui y stationnaient ont quitté, et la base aérienne de Hmeimim, deux bases essentielles pour la présence russe au Moyen-Orient et en Afrique. Les avions et les hélicoptères russes ont certes tenté de freiner l'avance des forces rebelles, mais n'y sont pas parvenus. Cinquante ans de pouvoir du clan Assad ont pris fin. Et c'est une très, très bonne nouvelle, d'abord pour les victimes de ce régime, ses prisonniers et les exilés. Mais il faut  rester en alerte, parce que la coalition des forces qui ont vaincu est dominée par un groupe islamiste issu du djihadisme syro-irakien, le HTC, ensuite parce que la tentation de la vengeance contre la communauté alaouite d'où est issu le clan Assad va être forte, enfin parce que la Turquie et Israël vont tenter de profiter de la situation, la première pour s'en prendre, comme d'habitude, aux Kurdes, et le second pour parfaire sa victoire sur le Hezbollah. Plus encore que l'Irak, comme le Liban (avec lequel il avait partagé le destin d'être sous mandat français entre les deux guerres mondiales), la Syrie est un pays multi-ethnique et multiconfessionnel : comment un pouvoir islamiste pourra-t-il s'en accommoder ? quel sera le sort des chrétiens, des druzes, des alaouites ? Et celui des Kurdes, que guette la Turquie ?

"Le but de la persécution, c'est la persécution. Le but de la torture, c'est la torture. Le but du pouvoir, c'est le pouvoir".

L'effondrement du régime syrien, totalement tenu par le clan Assad, a mis à jour son "état de délabrement", à commencer par celui de son armée, comme le relevait dans "Le Monde" daté d'hier, le rédacteur en chef de "Syria Report", Jihad Yazigi. Ce régime qui datait d'un demi-siècle et qu'on croyait avoir été restauré par les Russes en 2018, est tombé en dix jours, sans que les Russes puissent l'empêcher. Mais depuis six ans, après qu'Assad ait repris le contrôle de la banlieue de Damas, de la province de Deraa et de la ville d'Alep, les combats n'avaient tout de même pas cessé : les Russes bombardaient la province d'Idlib, les Turcs s'en prenaient au Rojava kurde, le HTC harcelait les forces du régime -et le régime lui-même continuait d’emprisonner, de torturer, de tuer les opposants sur lesquels ils pouvait mettre la main. Mais face à l'offensive éclair des groupes d'opposition, et surtout du HTC, son armée s'est comme liquéfiée, comme s'était liquéfiée l'armée irakienne en 2014 face à Daech. 

Le régime syrien ne tenait que par le soutien que lui apportaient la Russie et l'Iran. Et quand la Russie et l'Iran ont eu autre chose à faire, de plus urgent, le régime syrien est tombé. Comme un fruit pourri ou un château de fausses cartes. Il était sous sanctions internationales, totalement corrompu, il ne contrôlait qu'une partie d'un pays à moitié détruit que ses élites et les capitaux avaient fui, il n'avait plus de soutien que l'instinct de survie de la communauté d'où il était issu (et qui a tout à craindre de sa chute) et n'avait fait aucun des gestes (comme une ni amnistie des détenus politiques survivants) qui lui auraient permis de retrouver, sinon une légitimité, un peu d'espace politique. Et ses parrains russe et iranien avaient d'autres priorités. Les affrontements ont fait en Syrie, depuis six ans, un demi-million de morts, 100'000 disparus dont on ne sait combien  sont encore vivants. Les prisonniers politiques qui n'ont pas succombé aux tortures et aux conditions de détention,  c'est HTC qui les a libérés, même ceux qui lui sont hostiles, en ouvrant les prisons d'Alep et de Damas.

Ainsi, avec la chute de la Maison Assad, cette fin d'automne est la dernière floraison du "printemps arabe"... mais aucun des régime instaurés après la chute des régimes de Kadhafi, de Ben Ali, de Moubarak n'a donné la moindre réalité aux espérances nées des mouvements qui les avaient renversés. On se gardera donc de trop espérer de celui que va instaurer le HTC islamiste à Damas, d'autant qu'à ses frontières, de puissants prédateurs guettent : la Turquie et Israël. Mais se garder de trop espérer, ce n'est pas renoncer à se réjouir de la chute d'une bande de tueurs, de voleurs, de violeurs et de tortionnaires.

Le régime syrien avait un masque idéologique, le même que le régime irakien sous Saddam : le baassisme -un nationalisme arabe étatiste, présumé läique, tenant originellement à la fois du fascisme et du stalinisme, né sous le mandat français entre les deux guerres mondiales, mais Hafez Al Assad n'était déjà sans doute baassiste que par opportunisme et on n'est pas sûr que Michel Aflaq l'ait reconnu pour sien (l'idéologue du baassisme avait d'ailleurs trouvé asile chez le frère ennemi irakien de Assad père, Saddam Hussein), et Bachar était encore moins porteur que son père de quelque idéologie autre que celle se résumant en l'exercice d'un pouvoir le plus absolu possible. Parce que c'était quoi, le régime de la famille Assad ? Cétait ce que résumait O'Brien du pouvoir régnant dans le 1984 d'Orwell d'Orwell : "Le pouvoir n'est pas un moyen, c'est une fin. On n'établit pas la dictature pour sauvegarder la révolution, on fait la révolution pour instaurer la dictature. Le but de la persécution, c'est la persécution. Le but de la torture, c'est la torture. Le but du pouvoir, c'est le pouvoir".

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