"Aider" Israël et Taïwan pour pouvoir "aider" l'Ukraine

Solidarité bien ordonnée

Le Congrès des Etats-Unis a finalement accepté de voter 95 milliards d'aide militaire, et marginalement humanitaire, à l'Ukraine (61 milliards), Israël (28 milliards) et Taïwan. Cet arrosage était le prix à payer pour que l'aide à  l'Ukraine soit acceptée par une majorité des élus Républicains, indispensables à la Chambre des Représentants où les Démocrates sont minoritaires et où les trumpistes tiennent la majorité républicaine . Pourtant, l'aide militaire américaine à Israël n'avait jamais manqué (elle est de plusieurs milliards chaque année depuis des décennies, et depuis le 7 octobre, la plupart des contrats d'armes (des avions de combat, des bombes, des munitions) passés entre les USA et Israël ont été au moins exécutés, et souvent accélérés et prélevés sur des stocks américains, sans être soumis à l'approbation du Congrès. Rien de tel à l'égard de l'Ukraine, qui a bien bénéficié d'une aide américaine de 44 milliards de dollars depuis février 2022 mais n'a jamais reçu tous les équipements qu'elle demandait, et n'a souvent reçu qu'avec retard ceux qu'elle obtenait tout de même. Israël n'a jamais eu ce souci. Et pour que le parlement américain finisse par accepter une nouvelle -mais elle aussi tardive- aide à l'Ukraine, il a fallu y adjoindre une aide à Israël (et une autre à Taïwan), en nappant le paquet d'une aide humanitaire beaucoup bien moins massive. Et surtout, ces "aides" militaires sont, pour les USA, un soutien à leur propre industrie militaire : ce sont des matériels américains que les Ukrainiens, les Israéliens et les Taïwanais vont acheter. Solidarité bien ordonnée commence par soi-même...

La guerre est la continuation du commerce au prétexte de la solidarité

"En Ukraine, la nouvelle aide américaine a un goût amer", titrait la "Tribune de Genève". Un goût d'aide publique américaine à l'industrie militaire américaine ? La guerre en Ukraine a formidablement boosté l'industrie de l'armement. Les dépenses militaires mondiales sont les plus massives depuis trente ans, c'est-à-dire depuis la fin de la guerre froide : elles ascendent à plus de 2000 milliards d'euros et constituent à elles seules 2,2 % du produit intérieur brut mondial. C'est en fait depuis 2014 et l'annexion russe de la Crimée qu'elles ont pris l'ascenseur. Et cette explosion des dépenses militaires profite d'abord, surtout et par dessus tout aux Etats Unis, mais aussi à la France, devenue le deuxième vendeur d'armes au monde en 2022, avec 22 milliards d'euros d'exportations. La Chine se taille aussi une place de plus en plus forte.  La Russie s'étant retirée de plusieurs traités de désarmement a augmenté de 70 % ses crédits militaires au budget 2024  et prévoit d'y consacrer 6,6 % de son PIB pour relancer les chaînes de production d'obus, de chars, de drones. Et pour pouvoir importer intensivement des composants électroniques, y compris en provenance indirecte du camp "occidental" (des USA, d'Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, d'Israël) via des négociants chinois. . A l'autre bout du monde, c'est l'épouvantail chinois qui pousse le Japon à prévoir de doubler (de 1 à 2 %) la part de son PIB consacré au budget militaire.

Les USA vont donc apporter une aide militaire de 61 milliards de dollars à l'Ukraine. Ces milliards vont se matérialiser en équipements (des avions, des missiles, des munitions) américains, qui seront payés aux fabricants américains par l'Etat américain. L'Ukraine y gagne sans doute un répit. Le complexe militaro-industriel américain, lui, y gagne 61 milliards. Plus tout ce que les voisins de la Russie s'apprêtent à se procurer, directement en les achetant... aux USA... Du coup, leurs budgets militaires explosent : +270 % en huit ans en Lituanie, + 173 % en Lettonie, 4 % du PIB polonais consacré à la Défense...

On a l'habitude d’ânonner la célèbre formule de Clausewitz, "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens". Une autre formule pourrait mieux décrire ce qu'est la guerre d'Ukraine pour les fabricants d'armes, à commencer pour les étasuniens : "la guerre est la continuation du commerce au prétexte de la solidarité". En 2020, Biden avait promis de mettre fin aux "guerres sans fin", pas aux ventes d'armes américaines aux guerres des autres (aucun soldat américain n'est mort en Ukraine). Business as usual.



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