Election partielle au Conseil d'Etat genevois : Façon puzzle ou bonneteau

 Pierre Maudet se hissant à la deuxième place de l'élection partielle au gouvernement genevois, loin devant le candidat officiel de son ex-parti (le PLR), Cyrl Aellen (mais aussi loin derrière la candidate des Verts et du PS, Fabienne Fischer), ce fut la surprise de cette élection. La batterie de casseroles trimballées par Maudet n'a pas dissuadé une part considérable de l'électorat radelibe de continuer à voter pour lui, comme il le fait depuis quinze ans. Son succès, Maudet l'a en effet construit dans cet électorat et dans les communes et les arrondissements PLR : il cartonne à Cologny,  ou Vandoeuvres, pas  à la Jonction ou aux Pâquis. En face, Fabienne Fischer rassemble l'électorat du PS et des Verts et Morten Gisselbaek celui du Parti du Travail. Entre les deux, le vert libéral Michel Matter double le score de son parti, et sur la droite de tous les autres, l'UDC Yves Nidegger double aussi le score du sien. Au deuxième tour, le PLR et les Verts libéraux ne présentant ni ne soutenant plus personne, on va retrouver face à face Fabienne Fischer, pour qui le PdT a retiré son candidat, et Pierre Maudet, mais on va aussi retrouver Yves Nidegger, et trouver une candidate du PDC (qui était sensé soutenir le candidat du PLR ou premier tour, mais qui a peut-être plutôt soutenu le candidat des Verts libéraux), Delphine Bachmann. Orphelin de son candidat et de tout mot d'ordre, l'électorat du PLR va donc arbitrer, non sans doute l'élection elle-même, mais la course à la primature à droite. La course, ou le bonneteau. Car c'est bien à droite que campe Maudet... Une droite façon puzzle dont, encore sans parti, il est la plus grosse pièce...

On ne va pas s'inventer les adversaires dont on rêve, on fera avec ceux qu'on a...

Maudet a sans doute fait la meilleure campagne de ce premier tour de l'élection au gouvernement genevois. Une campagne mystificatrice, mais redoutablement efficace : candidat et élu de la droite dans des exécutifs depuis plus de quinze ans, il s'est présenté comme au-delà du clivage gauche-droite. Conseiller d'Etat depuis neuf ans, il s'est présenté comme un homme neuf. Après tout, ce n'était que la huitième fois que Maudet se présentait à une élection (comme conseiller municipal, conseiller administratif, conseiller d'Etat), ce qui en faisait sans doute de tous les candidat-e.s à celle-ci, le plus aguerri, même si c'était sa première tentative comme candidat indépendant, soutenu par un seul parti, en gestation (l'Elan Radical), dont il affirme ne pas être membre, dont on ne sait pas quelle réalité il  et dont on se doute qu'il est plutôt une étape vers la reconquête du PLR par Maudet -qui a quelque chose de Trump : une extraordinaire capacité de nuisance pour son propre camp et son ancien parti. Car son camp est toujours le même, si son étiquette a changé. Pour un temps -celui de la reconquête de son ex-parti, dont le candidat, Cyril Aellen, a été rendu acratopège par une campagne tellement consensuelle qu'elle en devenait insignifiante. Or lui avait besoin de mobiliser l'électorat PLR, l'empêcher de passer chez Maudet, et de mobiliser au surplus l'électorat PDC et l'empêcher de passer aux Verts libéraux. Double ratage.

Dans notre camp, Fabienne Fischer n'a pas fait une campagne décoiffante, parce qu'elle n'en avait pas besoin : candidate commune des Verts et du Parti du Travail, elle disposait d'un "socle électoral" suffisant pour assurer sa présence au deuxième tour, et en tête du premier. Contrat tenu.  On a voté (et on revotera) pour elle. On n'a pas voté pour elle par discipline de parti (la respecter est un défaut qu'on essaie de ne pas trop cultiver), on aurait pu tout aussi bien voter pour le candidat du Parti du Travail, Morten Gisselbaek, avec qui on a siégé au Conseil municipal et qui a défendu dans sa campagne des propositions (le revenu minimum, la gratuité des transports publics) qui sont aussi les nôtres, mais sa candidature nous paraissait plus une "candidature de témoignage", un acte de présence politique du Parti du Travail et par lui de la "gauche de la gauche" (n'en déplaise à SolidaritéS officielle, à SolidaritéS provisoire et à SolidaritéS canal historique), qu'une candidature animée d'une véritable volonté d'être élu. On a donc voté pour Fabienne Fischer et on invite notre immense lectorat à faire de même au deuxième tour, puisque deuxième tour il va y avoir. Pour changer la majorité gouvernementale genevoise, et la faire (vraiment) passer à gauche.  Même si un duel entre Fabienne Fischer et Pierre Maudet pour le siège de Pierre Maudet a quelque chose d'infiniment jubilatoire.

La droite genevoise est plongée dans un dilemme que le président du PLR, Bertrand Reich, a parfaitement résumé, évoquant, à titre personnel, l'impossibilité pour lui de choisir entre un homme dont il condamne le comportement et une femme dont il combat le programme politique. L'assemblée des délégués du parti le suit, et ne donne aucun mot d'ordre, laissant aux électrices et aux électeurs une "liberté de vote" dont, fondamentalement, chaque citoyen, chaque citoyenne dispose de toute façon. Reste la question (qui ne se pose d'ailleurs pas au seul PLR) : à quoi sert un parti incapable de prendre position ? Ne vouloir voter ni pour Maudet ni pour Fischer, ni pour Bachmann, ni pour Nidegger mène à quoi ? à un vote blanc ?  Le PDC et le PBD fusionnés dans "le Centre" présentent la candidature de Delphine Bachmann ? c'est une solution de repli pour des PLR qui ne pouvaient voter ni pour Maudet, ni pour Nidegger, et ne ne résolvaient pas à voter pour Fischer, et vont donc pouvoir voter pour quelqu'un... ce qui ne change que la répartition des votes de droite, et les modalités de son éparpillement. 

Nous avons décidément d'étranges alliés "objectifs"..."J'ai dissout la droite", faisaient dire Les Guignols à Jacques Chirac, après la victoire de la gauche lors de législatives provoquées par la dissolution présidentielle de l'Assemblée Nationale. Maudet a "atomisé la droite", placarde "Le Courrier" de lundi. On pourrait s'en réjouir, mais ça a tout de même quelque chose de frustrant. "Il faut compter sur ses propres forces", prêchait le Grand Timonier. Il faudrait, oui. Parce que c'est tout de même plus gratifiant que gagner grâce aux conneries de ses adversaires. On ne va pas s'inventer les adversaires dont on rêve, on fera avec ceux qu'on a, et qui ne méritent décidément qu'une défaite. Il ne nous reste qu'à mobiliser notre propre camp  : lui, au moins, est capable de donner une leçon d'unité.

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