Cité de la Musique et musiques de la Cité

On s'échauffe beaucoup, en ce moment, à Piogre, autour du projet de Cité de la Musique dans le quartier des Nations. On s'échauffe même jusqu'aux insultes et aux menaces, partisans et opposants dénonçant fort équitablement, les uns sur leur site Facebook, les autres par communiqué de presse, les attaques personnelles fusant des autres sur les uns et des uns sur les autres. Ambiance "prova d'orchestra" fellinienne, dont il ne nous souvient pas qu'elle accompagna d'autres projets d'envergure, comme la Nouvelle Comédie...  Objectivement, il ne s'agit pourtant que de voter sur un préavis municipal à  un plan localisé de quartier, préavis sur lequel le canton pourrait parfaitement, avec toute la délicatesse que nos communes lui connaissent, s'asseoir. Si on peut douter qu'il y pose son séant, c'est en raison du rapport des force entre le canton et une commune qui à elle seule pèse 40 % de la population et de l'électorat du canton, et qu'il convient de ménager à deux ans d'élections cantonales. Sauf à vouloir s'asseoir sur un gros clou. Le rapport de force entre le clou municipal et la fesse cantonale décidera... Reste la question qui devrait nous tarauder : sur quoi s'échauffe-t-on ? les arbres ? la villa des Feuillantines ? les musiques ? la Fondation des montre-que si-t'en-as-pas-une-à-50-ans-t'as-raté-ta-vie ? A quelques jours de la votation, le mystère nous reste entier, et on doute qu'il soit dissipé dimanche à midi, vu l'ambiance de la campagne... En attendant quoi, que l'on s'écharpe sur les réseaux nous aura au moins permis de prendre une posture commode, celle du sage, mi-cynique mi-stoïcien, planant au dessus des bas règlements de compte...

Quel qu'en soit le résultat, le vote ne nous déprimera ni ne nous euphorisera, mais nous interrogera

Le gouvernement cantonal genevois s'est prononcé, comme l'exécutif municipal, en faveur du projet de Cité de la Musique, dont la condition préalable (le plan localisé de quartier) est soumis à l'approbation du peuple municipal de la Ville, le 13 juin. Que le Conseil d'Etat prenne position est logique : le projet est d'importance cantonale (voire régionale) et la décision finale sera bien cantonale (le sort de la Cité de la Musique ne se joue pas définitivement dans les urnes municipales, même ce qui en sortira pèsera lourd dans cette décision) . Quant au contenu de la prise de position, on ne s'attendait pas à ce qu'elle soit autre que ce qu'elle a été. Reste donc à savoir ce que pèse le préavis d'une commune dans une décision cantonale... On a eu beau rappeler que le vote de dimanche se faisait sur un préavis municipal donné par un Conseil municipal sur un plan localisé de quartier, et qu'on n'avait pas fait voter tout le canton sur le Théâtre de Carouge ou le Forum Meyrin, rien n'y a fait : des villas de Vandoeuvres et des vignes du Mandement a continué à monter ce cri de douleur : "c'est pas juste, y'a que la Ville qui vote". Or les communes genevoises sont sans doute de taille et de poids différents, mais elles ont les mêmes droits, et le corps électoral de la Ville a  les mêmes droits que celui de n'importe quelle autre commune à se prononcer sur les préavis municipaux. Faire voter tout le canton sur des préavis municipaux de la Ville impliquerait d'ailleurs de faire voter aussi la Ville sur des préavis municipaux d'autres communes, ce qui, vu le poids démographique de la Ville, reviendrait à la faire décider elle-même de ce qui concerne les autres communes.  Faire voter tout le canton sur un préavis consultatif donné par un Conseil municipal sur un plan localisé de quartier serait évidemment absurde -d'autant plus, en l'occurrence, que la Ville pesant 40 % de l'électorat du canton, ce serait de toute façon son vote qui serait déterminant (à moins de décider d'exclure le corps électoral de la Ville des votes cantonaux...), comme cela aurait été de faire voter tout le canton sur le Théâtre de Carouge ou le Forum Meyrin. Surtout, ce passage d'un vote municipal à un vote cantonal, en sus d'être absurde, serait politiquement inacceptable, puisqu'il reviendrait à priver des dizaines de milliers de personnes du seul droit de vote dont elles disposent : les étrangers résidents, qui n'ont le droit de voter qu'au plan communal et ne sont pas moins concernés que les indigènes par le projet de la Cité de la Musique...

Sans doute devrait-on donner aux communes genevoises (et donc à leurs citoyennes et citoyens habitantes et habitants, lors de votes populaires) un peu plus de pouvoir sur leur propre territoire (et leurs budgets)... En attendant quoi, le moyen le plus simple de manifester notre ire face à un vote démocratique réduit à l'expression d'un avis dont le Bailli peut (ne fût-ce que théoriquement) faire ce qu'il veut, est de répondre "non" à la question qu'on nous pose et dont la réponse importe si peu. Après tout, le fait même que l'on vote sur un préavis municipal à une décision cantonale permet de faire de ce préavis le moment d'un débat à poursuivre sur un projet qui peut encore être modifié, et non le terme guillotin d'une procédure.

Que passe un "oui" ou un "non" au préavis municipal sur la Cité de la Musique, le débat sur la politique culturelle de la Ville, s'agissant de la musique, devra se poursuivre et s'affiner, le vote du 13 juin n'amenant en lui même, quel que soit son issue, rien de plus ni rien de moins aux musiques non patrimoniales. Et s'agissant du projet de Cité de la Musique,  un vote "non" au préavis consultatif sur le PLQ ne fera pas échec au projet de construction. Cependant, la consultation populaire ouvre un débat. Qui en l'occurrence est largement en dessous de ce qu'on en attendait, à moins de ne le mesurer qu'à sa virulence... Reste que le statut même du vote (municipal et consultatif) permet, quel qu'en soit le résultat, de reprendre et d'améliorer le projet, s'agissant précisément de son contenu culturel, du rôle que peut jouer une institution comme celle projetée, des rapports qu'elle doit entretenir avec tous les acteurs de la scène musicale genevoise. Ici, on pense que le "non " permet mieux que le "oui" cette redéfinition du projet.  D'autres (le PS de la Ville, notamment) sont de l'avis que c'est le "oui". Ni lui, ni nous (pluriel de majesté ?) ne changeront d'avis d'ici dimanche (d'autant qu'on a déjà voté. Et voté "non")

Quel que soit le résultat du vote, il ne nous déprimera ni ne nous euphorisera, mais il nous interrogera certainement, pour la suite -et là, ce sera vraiment affaire de choix politiques et budgétaires. Et les premiers tomberont vite : le projet de budget 2022 de la Ville nous sera soumis dans trois mois, pour être voté dans six mois... La Cité de la Musique n'y figurera pas -mais tous les autres acteurs de la scène musicale genevoise y figureront : il s'agira alors de maintenir, et si possible de renforcer le soutien que la Ville leur accorde. A tous. Affaire de rapport de forces politiques, entre la gauche et la droite et au sein de la gauche.  Quoi qu'on ait pensé, dit, écrit et voté dimanche prochain, "ce n'est qu'un début, continuons le combat" ! 

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