Poutine et les F-35 : fable suisse

 

Du bon usage de la guerre d'Ukraine et du péril russe

La droite suisse a son bon usage de la guerre d'Ukraine : en user pour justifier un réarmement de la Suisse. On ne niera pas à la Conseillère fédérale Viola Amherd et aux partisans de l'achat par la Suisse, pour un paquet de milliards, d'avions de combat américains F-35, un talent aigu d'opportunisme : les premières bombes  et les premiers missiles russes n'étaient pas tombés sur l'Ukraine depuis un jour qu'elle et ils exigeaient du comité d'initiative "Stop F-35" qu'il cesse de récolter des signatures (il en a déjà obtenu 90'000), et même retire l'initiative. Comme si l'agression poutinienne de l'Ukraine devait forcément justifier l'achat d'avions de combat inadaptés aux besoins de la Suisse, et qui lui coûteraient bien plus cher que ce qui avait été annoncé pour faire accepter leur achat contre leurs concurrents européens. L'initiative ne demande d'ailleurs même pas que la Suisse renonce à acheter des avions de combat, mais qu'elle en choisisse qui lui soient adaptés, et qui soient européens. Et occidentaux : des Rafale, des Eurofighters, pas des Sukhoï (encore que si on croit à la possibilité d'une attaque russe contre la Suisse, ce serait plus adéquat...), pas des F-35 étasuniens, qui sont moins des avions de défense que des avions d'attaque,  d'attaque, des avions de combat furtifs conçus pour larguer des bombes en territoire ennemi. Quel territoire ennemi pourraient atteindre des F-35 suisses ? la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche ? Ou les résidences lémaniques ou alpestres des oligarques russes ? La Suisse a d'autres armes, plus efficaces qu'une flottille d'avions de combat, pour s'opposer à un régime comme celui que subit la Russie : 80% du commerce russe de matières premières passe par la Suisse : que fait-elle pour le stopper ? Que fait-elle pour s'émanciper des fournitures de pétrole et de gaz russes ?

Poutine, commis voyageur de Lockheed Martin ?

Le 26 novembre dernier, Armasuisse rendait publics les contrats pour l'acquisition du F-35. Et surprise : les 36 appareils coûteront près d'un milliard de plus qu'annoncé en juin (6,035 milliards au lieu de 5,086 milliards). Parce qu'en juin, on s'était bien gardé de tenir compte de l'inflation. Le parlement devra donc approuver un achat pour 6,035 milliards, alors qu'en septembre 2020, le peuple n'a accepté qu'une enveloppe maximale de six milliards... Et les F-35 ne tenaient dans cette enveloppe qu'en réduisant de 20 % le nombre de leurs heures de vol, et en renonçant à l'achat initialement prévu de missiles à moyenne portée. On a comme l'impression que l'achat de l'avion américain avait été décidé dès le départ, et qu'on avait ensuite bricolé pour le faire tenir dans les limites soumises au bon peuple.

Les cinq milliards annoncés pour l'achat des F-35 lui donnaient un avantage financier tel que tout autre critère de sélection du futur avion de combat devenait obsolète -notamment les critères politiques, comme celui de choisir un avion européen (Rafale ou Eurofighter) pour améliorer les relations de la Suisse avec l'Union, après la rupture par la Suisse des négociations sur un accord-cadre. Dès lors que le F-35 coûtera au moins un milliard de plus à l'achat, son avantage sur ses concurrents européens se relativise considérablement, jusqu'à devenir illusoire, même si ce milliard supplémentaire est prétexté par l'inflation, d'autant qu'on a aussi bricolé le temps d'utilisation de l'avion (en le réduisant de 20 %) pour le rendre moins coûteux à l'usage. Le laisserait-on en permanence au sol qu'il coûterait encore moins cher... et nuirait moins aux populations riveraines des aéroports militaires : l'avion est bien plus bruyant qu'annoncé, et il faudra réduire le nombre de décollages de moitié à Payerne et Meinringen, de près des trois quarts à Emmen, pour que son voisinage soit supportable, et qu'on ne se retrouve pas dans la situation de la Norvège, qui a dû dépenser 150 millions pour déplacer les habitants proches ou isoler phoniquement leurs maisons.

Guerre d'Ukraine ou pas, la récolte de signatures pour l'initiative "Stop F-35" va se poursuivre, n'en déplaise à la Conseillère fédérale, l'initiative aboutira certainement  et le peuple se prononcera, non sur l'achat de nouveaux avions de combat, mais sur l'achat de ceux qui ont été choisis en manipulant les chiffres, en taisant leurs nuisances, et en camouflant leur inadaptation crasse aux besoins d'une défense aérienne dont, précisément, la guerre d'Ukraine prouve qu'elle a plus besoin de missiles sol-air que de merveilles volantes.

Poutine a déjà relégitimé l'OTAN, renforcé l'Union Européenne, soudé le peuple ukrainien, sacré son président et quasiment fait réélire Macron, on peut se passer d'en faire en plus le commis voyageur de Lockheed Martin.


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