Un Papyrus, des Papyre ?

Un Papyrus, des Papyre ?

Il y a cinq ans, le 21 février 2017 était lancée à Genève la première opération de régularisation collective de sans-papiers en Suisse, l'Opération Papyrus. "Comment fait-on pour faire passer des milliers de gens de l'ombre à la lumière ?" se demandait deux ans plus tard le magazine télé "Temps Présent" (https://www.youtube.com/watch?v=sw70ItnKfcQ) ? Papyrus a permis à 3000 personnes de sortir de l'ombre sociale, pour entrer dans la lumière de la ville...  Post Tenebras Lux... mais selon les estimations, entre 58'000 et 105'000 sans-papiers vivraient et travailleraient en Suisse, et si les critères de Papyrus étaient appliqués à des opérations semblables, dans les principaux cantons, ceux où vivent le plus de sans-papiers, 30'000 d'entre eux passeraient aussi de l'ombre à la lumière... Le combat pour leur régularisation continue, donc... Et à Genève aussi, puisque sur ses 13'000 "sans-papiers", Genève n'en a encore régularisé, entre Papyrus et les régularisations suivantes, que 4000...


L'Histoire ne repasse pas les plats mais la solidarité peut rouvrir les portes...

Dans leur relation de l'Opération Papyrus ("Papyrus - la combinaison gagnante", éditions Slatkine), Laurence Bolomey et Martine Schweri rappellent que cette opération ne tombe pas du ciel, qu'elle est le résultat de quinze ans de lutte pour la défense des sans-papiers, dès le début du XXIe siècle quand à Genève, les syndicats ont commencé à plancher sur des réponses à l'exploitation des sans-papiers, notamment dans le secteur du travail domestique. Mais de Berne est d'abord tombée une fin de non-recevoir à toute demande de régularisation collective : Christoph Blocher était Conseiller fédéral et c'est lui qui était chargé du dossier. Autant dire qu'il ne le fera pas avancer... Le mouvement de solidarité n'a pas pour autant baissé  les bras, et une assemblée générale des sans-papiers, qui s'y rendaient à leurs risques et périls d'expulsion, a été organisée par le syndicat SIT, le collectif de soutien aux sans-papiers et les associations d'entraide, qui ont relancé le processus qui aboutira à Papyrus. Christoph Blocher viré du Conseil fédéral, le dossier est passé à Simonetta Sommaruga, et à Genève à  Pierre Maudet. Ces trois partenaires, le mouvement des sans-papiers et le syndicat d'une part, le canton avec Pierre Maudet d'autre part, la Confédération enfin, avec Simonetta Sommaruga, vont négocier pour utiliser les marges de manœuvres existantes et se mettre d'accord sur un projet "ficelé", prêt à être appliqué, en privant les oppositions à une légalisation collective de moyens de s'y opposer (l'UDC tentera vainement de stopper l'opération, en  s'adressant directement à Berne).

Papyrus a permis à 3000 personnes de sortir de l'ombre sociale, mais selon les estimations, entre 58'000 et 105'000 sans-papiers vivraient et travailleraient en Suisse : étrangers n'ayant jamais obtenu de titre de séjour ou l'ayant perdu, mais cotisent à de nombreuses assurances sociales, et dont les enfants quand ils en ont suivent l'enseignement des écoles publiques (les sans-papiers peuvent, ou doivent, s'affilier à l'assurance-maladie, l'assurance-accidents, l'AVS, l'AI. Ils peuvent bénéficier d'allocations perte-de-gain et d'allocations familiales. En revanche, ils ne peuvent pas s'affilier à l'assurance-chômage, ni recevoir de prestations complémentaire, ni d'aide sociale mais ils ont droit à l'aide d'urgence). Leur peur de la police rend leur accès à la justice difficile dans les cas, nombreux, d'exploitation, de licenciements abusifs, de perte ou d'insalubrité de leur logement, de non-versement de leur salaire. Après avoir reçu un rapport demandé par une commission du Conseil national, le Conseil fédéral, fin décembre 2020, déclarait se satisfaire de cette situation, jugeait le cadre légal existant "adéquat, bien qu'il existe un conflit entre l'intérêt public à l'affiliation des sans-papiers aux assurances sociales d'une part, et la lutte contre le travail et le séjour illégal d'autre part" et refusait d'envisager une régularisation collective, ou même une régularisation partielle limitée à une certaine catégorie de sans-papiers, qui "n'apporterait pas de solution sur le long terme à la problématique du séjour illégal".  Il refusait également d'exclure les sans-papiers de l'ensemble des assurances sociales, ce qui violerait les engagements internationaux de la Suisse et reporterait sur les cantons et les communes les coûts (notamment de la santé) que les assurances sociales ne prendraient plus en charge. Il voulait, et veut toujours, s'en tenir à un examen cas par cas pour des situations exceptionnelles (des "cas de rigueur"), et estime que la législation actuelle suffit puisqu'elle laisse une marge de manoeuvre aux cantons, ce qui a permis à Genève de mener son opération "papyrus" de régularisation collective de près de 3000 personnes -mais en 2020, Fribourg n'a soumis que deux cas de régularisation aux autorités fédérales, le Jura quatre, Neuchâtel un seul... et le Valais aucun. Vaud fait un peu mieux son travail en présentant 82 cas (pour 12'000 sans-papiers dans le canton), alors que Genève, après la fin de Papyrus, présentait encore 1260 cas à Berne.

Papyrus n'a eu finalement qu'un défaut, inhérent au cadre légal fédéral : ce fut une opération unique, dans un seul canton. Une porte a été ouverte, qu'aucun autre canton n'a passée. Et que Genève n'a d'ailleurs pas rouverte. Il paraît que l'Histoire ne repasse pas les plats ? La solidarité, elle, peut rouvrir les portes...


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