Bolsonaro a mal au ventre. La démocratie au Brésil aussi.
Coup d'Etat ou coup d'éclat ?
Des milliers de partisans du président sortant, et
sorti, du Brésil, Jair Bolsonaro, ont attaqué et pillé, le 8
janvier à Brasilia le Palais présidentiel, le bâtiment du
Congrès (le parlement national) et le siège de la Cour Suprême,
avant d'être, tardivement, évacués par l'armée, puis, pour plus
d'un millier d'entre eux, arrêtés, et finalement souvent
relâchés pour raisons médicales. Pendant que Bolsonaro, fugitif
en Floride, était, lui, hospitalisé pour des douleurs
abdominales. On a évoqué une tentative de coup d'Etat ? Elle
s'est en tout cas résorbée en une gesticulation et le coup
d'Etat ne fut qu'un coup d'éclat. Une parodie de marche sur
Rome, condamnée (après son échec...) par quasiment tout les
chefs d'Etat et de gouvernement du monde, y compris le président
de la Confédération, Alain Berset, qui exprime sa "profonde
solidarité avec le peuple et les institutions" du Brésil, "ainsi
qu'avec le président Lula". Les présidents mexicain, Manuel
Lopez Obrador, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, le
président du Conseil européen disent de même. Biden, qui se dit
"impatient" de travailler avec Lula, a condamné "cette attaque
contre le démocratie" et exprimé son soutien aux "institutions
démocratiques du Brésil". Même la Chine et la Russie ont
condamné le happening bolsonariste. Belle unanimité -dont on
mesurera la valeur et la portée au soutien dont devra bénéficier
Lula. pendant toute la durée de son mandat.
Vae Victis !
Que voulaient les saccageurs des
institutions de l'Etat brésilien, et donc de la démocratie
déjà mise à mal pendant la présidence de Bolsonaro ? Prendre
le pouvoir ? Non : ils voulaient que l'armée le prenne, par un
coup d'Etat, et renverse le président élu, Lula. L'armée n'a
pas suivi et a protesté de son légalisme. Bolsonaro,
pendant que ses partisans s'attaquaient aux trois symboles du
pouvoir institutionnel brésilien, était en Floride. Il s'y était
rendu dans ce qui ressemble fort à une fuite, et y était resté,
avant l'investiture de son successeur, Luiz Inacio Lula da
Silva. Une investiture qu'il refusait d'accepter, comme il
refusait d'accepter sa défaite et incitait, depuis l'élection,
ses partisans à la refuser. Bolsonaro a fait du Trump, ses
partisans aussi : la prise du Capitole brésilien célèbre, à la
manière de l'extrême-droite, les deux ans de la prise du
Capitole étasunien. Ces partisans de "la loi et l'ordre" ne se
refusent pas le plaisir de violer l'une et de bazarder l'autre.
Leurs figures tutélaires, elles, se gardent bien de se trouver
sur les lieux des émeutes : ni Bolsonaro ni Trump n'y étaient.
Mais l'un et l'autre ont, pour le moins, permis ce qu'ils ont
fait mine ensuite de désapprouver. Et n'ont désapprouvé que
parce que cela avait foiré : vae victis. L'échec de l'attaque de
Brasilia a certes délégitimé Bolsonario comme leader de
l'opposition à Lula, mais seulement auprès des ses soutiens les
plus opportunistes. Les autres sont toujours là, dans la rue ou
dans l'ombre -et d'entre eux, les organisateurs de l'émeute de
dimanche : il a quand même fallu affréter des centaines de cars
pour amener à Brasilia, au su des autorités, les milliers de
manifestants (4000, selon les media) en renfort de ceux qui y
campaient déjà.
Comme Trump, Bolsonaro avait discrédité le
résultat des présidentielles avant même que les premiers votes
puissent se faire, et alors même que les procédures électorales
en vigueur étaient les mêmes, à quelques détails près, que
celles qui avaient abouti à leur élection. L'un et l'autre ne
pouvaient concevoir être battus, et surtout de l'être par un
Biden ou un Lula. Entre le premier et le second tour de
l'élection présidentielle, les bolsonaristes ont fait feu de
tout bois pour bloquer le processus électoral, ou le saboter :
barrages routiers, entraves au vote d'électeurs de Lula... les
camps desquels sont sortis les émeutiers de dimanche ont
commencé à être installés le 30 octobre dès le résultat connu,
dès la défaite de Bolsonaro et la victoire de Lula annoncées, et
les partisans du vaincus ont commencé le jour même à manifester
devant les casernes pour inciter l'armée à un putsch annulant
l'élection du vainqueur, avant son investiture (l'armée a
cependant reconnu la victoire de Lula et assuré qu'elle
respecterait la constitution, même si des segments
d'extrême-droite en son sein continuaient de rêver à un putsch
(le passage à la démocratie après les décennies de dictature
militaire s'est accompagné d'une amnistie pour tous les crimes
commis par les militaires au pouvoir). On entend aujourd'hui
fait à Lula le reproche de ne pas avoir, sitôt investi, fait
démanteler les camps que les bolsonaristes avaient installés
autour de Brasilia -mais l'aurait-il faut qu'on aurait entendu
hurler à la dictature communiste et que les blogueurs
d'extrême-droite, souvent repliés aux Etats-Unis, auraient
encore radicalisé leurs appels à l'insurrection ou au putsch.
Bolsonaro n'est pas seul : non seulement il a
obtenu plus de 49 % des suffrages à la présidentielle, mais il
a, ou avait, de puissants alliés, y compris dans les
institutions politiques que ses partisans voulaient que l'armée
renverse : l'émeute de dimanche était prévue, voire préparée non
seulement par le président battu, mais aussi son ex-ministre de
la Justice et de la Sécurité, le gouverneur de Brasilia et le
chef de la police du district fédéral de Brasilia. Nombre de
policiers ont laissé faire l'attaque, se contentant de la filmer
ou de faire des selfies avec des manifestants.
La Commission pastorale de la terre (CPT), une
instance de l'Eglise catholique brésilienne avait publié son
rapport annuel juste avant l'élection présidentielle : elle
recensait 35 assassinats perpétrés en 2021 en Amazonie, soit 75
% de plus qu'en 2020. Le président de la CPT, Jose Ionilton,
attribuait la dégradation de la situation à l'assouplissement par le gouvernement de Jair Bolsonaro
et le Congrès de la loi sur la possession des armes,
et de décisions facilitant la destruction de l'Amazonie : sous
Bolsonaro, les destructions de terres et les incendies
volontaires se sont multipliés. Et la violence, privée ou
publique, contre les peuples autochtones, aussi. Le bolsonarisme
n'est pas seulement autoritaire, et brouillon, et sexiste, et
méprisant des pauvres, il est aussi, et surtout, profondément
raciste, à l'égard des autochtones comme des descendants
d'esclaves. Lula a dénoncé les émeutiers de dimanche comme étant
des vandales fascistes. "Fascisme", le mot est lâché -mais pas
comme on atteint le point Godwin : comme on désigne un
adversaire. Car il y a bien du fascisme dans le bolsonarisme,
comme il y en a dans le trumpisme. "Du" fascisme, pas "le"
fascisme : "les grands événements se produisent toujours deux
fois, la première fois comme une tragédie, la seconde comme une
farce" (Karl Marx). Le 8 janvier, à Brasilia, on était dans la
farce. Une farce sinistre, ou grotesque, comme on voudra, mais
en tout cas une farce dangereuse. Et qu'on ne saurait réduire à
un épisode de folklore politique brésilien ou de haine de
l'architecture du communiste Oscar Niemeyer (réfugié en France
pendant la dictature militaire, il y édifiera le siège du PCF,
place du colonel-Fabien...).
Le 8 janvier, les attaquants bolsonaristes des symboles des institutions démocratiques brésiliennes (celles sur lesquelles les modèles de Bolsonaro, les militaires putschistes au pouvoir pendant trente ans, du milieu des années cinquante à celui des années quatre-vingt au XXe siècle, se sont assis), trimballaient des banderoles portant des slogans religieux (évangéliques, pentecôtistes) et s'étaient fringués du maillot de l'équipe nationale de foot. La religion et le sport, comme références de ce qui ressemble fort à du fascisme en mouvement et en actes : rien de nouveau sous le soleil...
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